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se sont bornées au siège mis devant Silistria, et là encore elle n’a pas été plus heureuse qu’à Oltenitza, à Citaté, à Kalafat ; elle l’a été beaucoup moins même : toutes ses attaques ont été victorieusement repoussées, tous ses travaux de siège ont été détruits. Le commandant turc de Silistria, Mussa-Pacha, a été tué, il est vrai, mais les pertes de l’armée russe ont été autrement nombreuses ; le maréchal Paskevitch lui-même a été atteint et s’est retiré à Iassy ; le général Schilder, commandant des travaux du génie, vient de mourir à la suite d’une amputation nécessitée par une blessure. Le général Luders et le prince Gortchakof ont été également blessés et mis hors de combat. Les officiers les plus distingués et les plus braves ont payé avec honneur de leur sang l’erreur de la politique de leur maître. Le dernier assaut livré à Silistria date à peine de quelques jours ; il n’a pas eu plus de succès que les précédentes attaques. Et qu’on le remarque, c’est par elle-même, sans nul secours, que l’armée ottomane a soutenu ces luttes, où les forces russes se sont épuisées, où sont tombés les meilleurs généraux du tsar. Tel était donc l’état de la guerre sur ce point.

La France et l’Angleterre marchaient de leur côté. Les deux puissances occidentales n’en sont plus depuis longtemps aux protocoles ; elles sont engagées dans l’action, et si elles n’ont pu encore accomplir rien de décisif, elles sont du moins sur le terrain de la guerre : elles occupent la Mer-Noire et la Baltique par leurs flottes, et bloquent les ports russes ; leurs forces de terre sont en mouvement en Turquie. Au nord, l’escadre française vient de rallier la flotte anglaise dans la Baltique, et l’amiral Napier peut disposer aujourd’hui de plus de cinquante bâtimens de guerre. En Orient, une portion considérable des armées alliées est déjà rassemblée à Varna, où elle se trouve à peu de distance de Schumla, quartier-général turc, de Silistria et du Danube. La Russie et les puissances occidentales se rapprochaient, on le voit, et il n’est point impossible certainement que la présence des troupes anglo-françaises à Varna ne soit aussi venue en aide aux assiégés de Silistria, et n’ait exercé quelque influence sur le mouvement de retraite de l’armée russe. Toujours est-il que dès ce moment l’Angleterre et la France sont en mesure de jeter dans la balance le poids de leur épée, et d’agir d’une manière prompte et décisive. Si elles ne trouvent pas la Russie sur le Danube, elles la trouveront sans doute ailleurs ; les flottes combinées de la Mer-Noire peuvent favoriser tous les mouvemens de leurs armées.

Tandis que l’Angleterre et la France arrivaient ainsi sur le théâtre de la guerre, où en étaient cependant les puissances allemandes ? Leur politique se dégageait de ses incertitudes et se dessinait chaque jour davantage. On n’a point oublié les divers actes intervenus entre l’Autriche et la Prusse pour régler leur action. On sait aussi les difficultés momentanées soulevées en Allemagne par les états secondaires réunis à Bamberg. La conférence de Bamberg émettait plusieurs prétentions étranges comme condition de son acquiescement à la convention austro-prussienne du 20 avril ; mais la plus singulière, à coup sûr, était que la sommation adressée à la Russie pour l’évacuation des principautés eût pour pendant une sommation semblable adressée aux autres puissances belligérantes, et réclamant également leur retraite du théâtre de la guerre. Ces embarras intérieurs n’ont pas tardé à se dissiper devant la fermeté de l’Autriche et de la Prusse. C’est le 2 juin que