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complète, cet enfant de quatorze ans, né dans le désert, élevé dans un camp, sut se placer, par le génie des grandes choses et l’amour de l’humanité, à la hauteur de la grande tâche que lui donnait la Proyidence. — Rien n’est plus merveilleux, selon nous, que cette apparition à point nommé d’un prince doué de toutes les qualités qui avaient illustré ses ancêtres et de toutes les vertus qu’ils n’avaient pas. Nous voyons cet homme, intrépide par constitution, se plaisant au milieu des plus vives émotions de la guerre et de la chasse, et les recherchant parfois avec une ardeur plus digne d’un paladin que d’un roi, préférer toujours à la longue les émotions d’un ordre supérieur que lui procurent des actes de générosité et de bienfaisance, la sage direction des affaires publiques, les combinaisons politiques et le commerce des hommes les plus instruits de son temps. Il avait su se débarrasser en temps opportun, et avec une fermeté, une modération au-dessus de tout éloge, de l’orgueilleuse tutelle de Behrâm-Khan ; il sut également conserver la coopération intelligente de son vertueux ami et digne conseiller Abou’l-Fazl jusqu’à la mort tragique de ce savant illustre et de ce grand ministre, en 1602. D’un tempérament irascible et souvent provoqué par l’ingratitude, Akbăr ne put toujours réussir à dominer les élans de sa colère. Il faut déplorer cette faiblesse, toujours si dangereuse dans un souverain, mais il est impossible de ne pas reconnaître que sa bonté naturelle et la rectitude de son jugement le maintenaient en général dans une simplicité, une dignité d’attitude et de manières qui firent à juste titre l’admiration des grands de sa cour comme des plus humbles de ses sujets et des étrangers qu’il se plaisait à accueillir dans son palais ou sous sa tente.

En résumé, les talens militaires et les conquêtes d’Akbăr, son génie comme fondateur d’un vaste empire, la sagesse de son gouvernement et ses grandes qualités personnelles lui assurent une place éminente dans l’histoire ; mais de tous les monumens qui ont marqué son passage sur la terre, le plus glorieux, celui qui défiera les ravages du temps, est l’Ayîn-Akhary, Ces admirables règlemens porteront témoignage devant les générations à venir de l’ardent amour de l’humanité et de la noble intelligence qui ont illustré ce règne d’un demi-siècle. Akbăr a dignement porté son nom, car il a été vraiment grand en toutes choses, et la reconnaissance des peuples lui a décerné la seule immortalité qu’un souverain puisse envier.


D. DE JANCIGNY.