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et à sa famille ou aux grands personnages de sa cour, l’observance des formes de l’étiquette orientale poussée jusqu’à la prostration dans les occasions solennelles, l’empressement le plus gracieux à se prêter aux décisions ou aux caprices de la cour la plus brillante qui fût alors au monde, l’exemple des vertus chrétiennes, du zèle et du désintéressement de l’apostolat, l’enthousiasme ardent et calme à la fois d’une conviction sincère, les ressources de l’instruction européenne, tout fut mis en usage et apprécié sans aucun doute par l’intelligence et la bonté d’Akbăr. Néanmoins les mêmes objections radicales se présentaient toujours à l’esprit du philosophe et aux méditations du souverain.

Hâtons-nous d’arriver au terme de cette lutte morale, qui fut aussi le terme de la carrière de ce grand homme. Le père Jérôme-Xavier et son compagnon Benoist de Goës ne quittèrent plus l’empereur ; ils étaient avec lui quand il partit pour sa grande expédition du Dăkkhăn (1599). Ce fut le 16 juillet de cette année qu’eut lieu l’entretien rapporté par Xavier, qui avait demandé à l’empereur la permission de lui soumettre les lettres qu’il venait de recevoir du père provincial, et où on lui prescrivait de hâter son retour à Goa dans le cas où l’empereur tarderait encore à se déclarer définitivement pour la religion catholique. Akbăr, respectueusement pressé par Xavier de faire enfin connaître ses intentions sur ce point important, répondit : « J’avoue que je vous ai appelés dans l’intention de connaître la vérité, afin de me déterminer plus tard à embrasser la croyance qui me semblerait la plus conforme à la raison. Je marche vers le Dăkkhăn et établirai mon quartier-général non loin de Goa. Je me débarrasserai des affaires pressantes, et au premier instant de loisir que j’aurai, je vous écouterai très volontiers. » Puis il ajouta : « Je vous ai fait appeler dans cette pensée sans doute, mais je me suis résolu à m’entretenir avec vous sans interprète, et j’ai prêté l’oreille à vos conseils. Vous semble-t-il donc que vous n’ayez rien gagné, quand vous pouvez librement et sans crainte confesser Jésus-Christ et prêcher sa doctrine dans un pays où les mahométans ont le pouvoir, et où, avant moi, quiconque eût voulu déclarer que Jésus-Christ est le vrai Dieu aurait été immédiatement mis à mort ? » Xavier convint qu’il en était ainsi, et qu’à cet égard ils lui devaient des actions de grâces particulières ; mais il le supplia, dans l’intérêt de son salut, de les entendre encore avec bonté. Akbăr le promit et congédia les pères avec de nouvelles assurances de sa protection. Ce fut la dernière conférence intime à ce sujet entre Akbăr et les missionnaires. On sait comment ils cherchèrent à le voir à son lit de mort, et ne purent pénétrer jusqu’à lui.

L’ensemble des faits et des opinions que nous venons d’exposer a