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puis changée en une déroute gigantesque jusqu’au Tessin. Il faut aller au fond des choses : ces revers étaient naturels. Qu’on les explique par l’incertitude des opérations militaires, par la lenteur des chefs piémontais à profiter de leurs premiers succès et par leur inexpérience de la guerre, on n’aura fait la part que des causes secondaires. La vérité est que les revers de la campagne de la Lombardie étaient moins l’œuvre de l’inexpérience des généraux sardes, des armées autrichiennes vigoureusement ramenées au combat par Radetzky, que de toutes les passions, toutes les rivalités, toutes les terreurs qui s’amoncelaient comme un orage derrière l’armée piémontaise, et s’acharnaient à empêcher la victoire ou à se la disputer avant que le prix du sang ne fût acquis.


II.

Un des premiers coups portés au caractère moral de la guerre de l’indépendance, c’était l’encyclique du pape du 29 avril. Pie IX avait semblé bénir les armes italiennes au premier instant. Ses troupes marchaient sur le Pô. Un légat du saint-siège, Mgr Corboli, avait suivi Charles-Albert au camp ; il avait pour mission de négocier avec le Piémont une ligue fédérative entre les états italiens, comme complément de l’union douanière du 4 novembre 1847. Le Piémont répondait qu’il fallait d’abord songer à l’indépendance avant d’organiser l’Italie. Cette raison ne laissait point d’avoir son poids, mais elle ne répondait pas à la pensée du souverain pontife, qui était de ne point se mettre directement en guerre, lui chef de l’église, avec un état catholique. La fédération constituant une autorité collective, c’était cette autorité qui prononçait et agissait. Soit qu’il crût voir quelque arrière-pensée dans le refus du Piémont, soit que son âme fût troublée uniquement par le scrupule religieux qui l’agitait, soit enfin qu’il redoutât un schisme nouveau en Allemagne, provoqué par son intervention. Pie IX lançait son encyclique du 29 avril, qui était un désaveu de la guerre et de ce rôle d’un Alexandre III que lui avait décerné le général Durando. Bientôt après, il est vrai, il cherchait à concilier son scrupule avec la nécessité qui parlait plus haut, en mettant les troupes pontificales sous les ordres de Charles-Albert ; mais le coup était porté, le prestige n’existait plus aux yeux du monde, et l’âme religieuse de Charles-Albert en ressentait une profonde émotion.

Quant au roi de Naples, il n’avait fait que céder à un entraînement qu’il ne partageait pas en envoyant ses troupes dans la Haute-Italie ; redevenu plus maître de ses résolutions après la journée du 15 mai, il les rappelait aussitôt. D’ailleurs une mésintelligence sourde existait entre le roi Ferdinand II et Charles-Albert, entre ces deux chefs