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une extrême prudence, et en ménageant à l’antagonisme des diverses croyances des occasions de se manifester sur un terrain où la violence fanatique devait nécessairement faire place à une discussion rationnelle, c’est-à-dire en présence même du souverain, qu’Akbăr et ses amis commencèrent à jeter les fondemens de la réforme projetée.

L’empereur saisit le premier prétexte favorable qui s’offrit d’appeler l’attention des seigneurs de sa cour sur l’insuffisance des prescriptions du Korân. Ce fut en 1575. Une controverse très vive s’était engagée entre les docteurs musulmans sur la grande question du mariage. Les uns soutenaient que le texte du Korân autorisait tout vrai croyant à avoir jusqu’à quatre femmes légitimes, mais non plus ; les autres maintenaient au contraire que le texte autorisait jusqu’à neuf femmes légitimes, — et les uns aussi bien que les autres appuyaient leur conviction sur des citations empruntées aux docteurs les plus renommés. — Un autre point, non moins vivement controversé, était celui de la légalité du mariage temporaire appelé moutâh, et conséquemment de la légitimité des enfans issus d’un semblable mariage. Sur ce point également et sur d’autres encore relatifs au mariage, les opinions et les autorités variaient d’une manière trop frappante pour ne pas ébranler la foi la plus robuste dans l’infaillibilité de la loi musulmane. Akbăr, à dater de cette époque, ne cacha pas son opinion sur l’incertitude dangereuse des textes et des doctrines du Korân ; il multiplia ses entrevues et ses conférences avec les hommes instruits de toutes les sectes et de toutes les religions. Il parut obéir d’ailleurs, ou crut céder peut-être en effet à une inspiration secrète, en proclamant dès ce temps la mission qu’il se croyait appelé à remplir. Voici comment Abou’l-Fazl explique et justifie cette détermination :


« Quand l’heure arrive où, pour le bonheur de l’humanité, la vérité doit être manifestée, un homme apparaît tout à coup, doué de ce savoir surhumain et revêtu par Dieu de la robe impériale, afin qu’il ait autorité pour conduire les hommes dans le vrai chemin. Tel est de nos jours l’empereur Aklbăr. Dès l’heure de sa nativité, les astrologues avaient été instruits de ses hautes destinées, et s’étaient communiqué à voix basse cette grande et triomphante nouvelle. Sa majesté jugea longtemps à propos de cacher à tous les yeux cette vocation mystérieuse ; mais comment éviter ce que le Seigneur tout-puissant a résolu dans sa sagesse ? Encore enfant, Akbăr faisait involontairement des choses qui surprenaient ceux qui en étaient témoins, et quand enfin ces actes merveilleux prirent malgré lui un caractère tellement évident, que les moins clairvoyans en étaient frappés, il reconnut que la volonté du Tout-Puissant l’avait destiné à guider les hommes dans la voie du salut, et commença à enseigner, à l’extrême satisfaction de ceux qui étaient avides de savoir, etc. »