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Sikry, à dix côss environ d’Agra, pour visiter un saint derviche, Sheikh-Selim, et sollicita l’intervention de ses prières à l’effet d’obtenir du Tout-Puissant qu’il lui accordât au moins un héritier. En présence de ce saint personnage, il fit vœu, s’il avait un fils, de faire à pied le pèlerinage d’Agra à la tombe de Khôdjah Moyin-ed-dîn, dans la cité d’Adjmîr. Une de ses bégums était fort avancée dans sa grossesse à cette époque ; il l’envoya à la maison du sheikh, à Sikry, où elle accoucha d’un prince, soultân Selim, et la même année (1569) Akbăr accomplit le pèlerinage annoncé. Il visita plusieurs fois le tombeau du pîr (guide spirituel, saint) Moyin-ed-dîn et d’autres lieux sanctifiés par la résidence ou la mort de quelque éminent confesseur de la foi musulmane. Il paraîtrait même qu’il eut, dans la vingt et unième année de son règne, l’intention de faire le pèlerinage de La Mecque ; mais déjà sa tolérance marquée pour d’autres opinions religieuses, et son penchant à s’informer des particularités qui caractérisaient les diverses croyances adoptées par l’humanité, avaient alarmé le bigotisme musulman.

Vingt ans s’écoulèrent sans qu’Akbăr jugeât à propos d’exprimer publiquement ses doutes sur la légitimité des croyances islamiques. Son temps avait été tellement absorbé, dans cet intervalle, par la guerre et la politique, qu’il ne lui avait pas été possible de s’occuper de l’examen des questions religieuses, examen auquel le portait cependant le penchant naturel de son esprit. Il s’était montré depuis longtemps tolérant par principe et par caractère, et lorsqu’il introduisit dans les traités qu’il eut à conclure avec plusieurs radjas la clause qu’une de leurs filles entrerait dans le harem impérial, il laissa à ces princesses la liberté de pratiquer les cérémonies de leur religion. Le concours éclairé et énergique qu’il trouva d’ailleurs dans ses conseillers favoris, Sheikh-Abou’l-Fazl et son frère aîné, Sheikh- Feizy[1], hommes d’une grande libéralité de sentimens et d’une habileté reconnue, ne dut pas peu contribuer à détruire sa confiance première dans l’excellence de la doctrine du Korân et à lui faire pressentir les avantages qui pourraient résulter, pour l’affermissement de son empire, de l’adoption d’une croyance qui embrasserait, en les conciliant, les principaux dogmes du mahométisme et de la révélation brahmanique. Ni lui cependant ni ses conseillers ne pouvaient se dissimuler les difficultés que rencontrerait l’introduction d’un nouvel ordre d’idées et de pratiques religieuses. Ce ne fut donc qu’avec

  1. Duncan Forbes (art. Akbăr du Dictionnaire biographique de la Société pour la propagation des sciences utiles) fait entrer Abou’l-Fazl au conseil en 1572 ; Elphinstone dit qu’il ne fut présenté à l’empereur qu’en 1574, et par son frère Feizy, déjà depuis cinq ou six ans dans l’intimité de ce prince. D’autres prétendent au contraire que Feizy fut présenté à Akbăr par Abou’l-Fazl pendant la campagne de Tchitôre.