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Au milieu des changemens que le temps et la conquête ont amenés dans l’état politique de l’Hindoustan, la commune est restée l’atome indestructible, l’élément inaltérable dont s’est composé et se compose encore aujourd’hui un état ou principauté, un royaume, un empire dans l’Inde. Aussi, dans le tableau que nous allons tracer de l’organisation des communes dans l’Hindoustan sous Akbăr, c’est la situation actuelle de ces communes que l’on retrouvera.

La commune hindoue embrasse une certaine étendue de terrain occupée par une association de familles qui la possèdent et la cultivent, d’après des conditions déterminées par l’usage immémorial (âdat, dastour). Les limites du territoire de la commune sont fixées avec une précision toute cadastrale et soigneusement défendues contre tout empiétement. Les terres sont classées d’après les qualités du sol et réparties entre les familles, de manière à ce que chaque portion soit décrite et que les bornes en soient définies avec la même précision que le territoire communal. L’étendue de chaque pièce de terre, la nature du produit, le nom du propriétaire, etc., sont inscrits sur les registres de la commune. Chaque commune s’administre elle-même par l’intermédiaire d’un certain nombre d’officiers municipaux et d’agens inférieurs. Cette administration locale répartit et perçoit l’impôt dû au gouvernement, ainsi que le montant des impositions destinées à couvrir les dépenses locales, telles que les réparations des murs d’enceinte, des temples, les frais des sacrifices et autres cérémonies ou fêtes publiques, les aumônes, etc. Elle rend la justice en première instance, punit les moindres délits, pourvoit en général à tous les besoins de la communauté, en sorte que, bien que soumise au gouvernement de l’état dont elle fait partie, la commune hindoue est à beaucoup d’égards une petite république, complète dans son organisation. Son indépendance et ses privilèges, quoique souvent violés, ne sont jamais contestés, même par le pouvoir le plus tyrannique, et, dans l’intérieur de la commune au moins, les élémens de l’ordre existent et maintiennent une organisation forte de ses traditions séculaires et de sa simplicité, quand l’état lui-même est bouleversé par les révolutions. Un homme d’état familiarisé par un long séjour avec les mœurs et les habitudes de l’Hindoustan, capable de comprendre et de juger, avec toute l’indépendance d’un esprit élevé et toute l’autorité de l’expérience, cette question du rôle que joue la commune dans l’existence politique du peuple hindou, s’exprime ainsi[1] :


«Les populations des villages forment de petites républiques possédant dans leur sein à peu près tout ce qui peut les rendre indépendantes de toutes

  1. Minute de sir Charles Metcalfe dans le Report of select committee of House of commons, 1832 ; vol. III, appendix 84, p. 331.