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Tous les renseignemens sont d’accord là-dessus. Déjà Pierre le Grand avait demandé qu’on réunît autant que possible les os d’un squelette entier de cet animal, et de temps en temps on avait entendu dire que des pécheurs avaient trouvé dans les terrains d’alluvion gelés, non pas seulement des squelettes, mais des cadavres entiers de divers animaux, tels que des rhinocéros, des éléphans, des pachydermes, lorsqu’en 1805 un Anglais, M. Adams, apprenant qu’un pêcheur avait trouvé entier un de ces cadavres dont il avait vendu les défenses, courut vers l’embouchure de la Lena, et s’empara des restes mutilés de l’immense animal. Les gens du voisinage en avaient pris la chair pour nourrir leurs chiens. Les ours, les loups, les renards, en avaient dispersé les débris sanglans sur le sol glacé, et, suivant l’expression d’un géologue (M. Buckland), semblaient s’être régalés de cette friandise antédiluvienne. Ce mammouth avait une longue crinière ; on n’a retrouvé ni la trompe ni la queue. Il avait neuf pieds quatre pouces anglais de hauteur et seize pieds quatre pouces de longueur, sans compter les défenses, qui, mesurées dans leur courbure, avaient une longueur de neuf pieds et demi. Ces deux défenses pesaient ensemble trois cent soixante livres anglaises, et la tête seule pesait plus de quatre cents livres ; la peau faisait la charge de dix hommes, et on a ramassé trente-six livres de poil que les bêtes carnassières avaient dispersé en dévorant l’animal. Ces précieux restes sont maintenant au musée impérial de Saint-Pétersbourg.

Depuis cette époque, on a, dit-on, fait de nouvelles découvertes du même genre, et il est bien à regretter qu’à tout prix, on n’ait pas sauvé ces objets uniques et que la nature ne peut reproduire. Je me souviens d’avoir entendu dire dans le salon de M. Cuvier que l’on avait quelques soupçons que certains blocs de glace contenaient de pareils animaux, et qu’ils étaient surveillés par les pêcheurs et les chasseurs iakoutes, tongouses et koriacks, qui fréquentent les bords de la Mer-Glaciale voisins des îles Liachov. Il y a quelque temps, M. Démidof, correspondant de l’Académie des Sciences, qui a déjà exécuté un si brillant voyage dans la Russie méridionale, avait annoncé l’intention de faire une excursion en Sibérie, où il possède de riches mines entre l’Oural et l’Obi, il s’était même assuré pour collaborateurs plusieurs jeunes gens également recommandables par leur aptitude scientifique et leur activité. Cet utile projet paraît ajourné. En attendant, on ne peut trop recommander la conservation des débris antédiluviens, car chaque perte de ce genre, on ne saurait trop le redire, est irréparable. Si les autorités de la ville de Iakoutsk avaient en dépôt une somme destinée à celui qui découvrirait une de ces précieuses dépouilles mortelles d’animaux antédiluviens, cette récompense promise stimulerait le zèle pour la