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l’ivrognerie que les sauvages de l’Amérique, et pour lesquelles l’abus des boissons alcooliques est une cause de dépeuplement tout aussi efficace. On se ferait difficilement une idée de toutes les substances dont les Sibériens retirent de l’alcool ; le blé, les racines des plantes, le lait aigri, le pain fermenté dans l’eau, la bière, les fruits sauvages, tout se change pour eux en alcool et aboutit à une ivresse continue et abrutissante. Quand un Sibérien musulman veut se faire chrétien, ses coreligionnaires lui disent : C’est par servilité que tu apostasies ou par amour de l’ivrognerie. — La plupart du temps c’est pour ces deux motifs à la fois. Les progrès du christianisme en Sibérie s’expliquent moins d’ailleurs par les efforts des missionnaires que par le mélange de la race russe avec les indigènes. Les missions et les ukases n’ont rien produit sur les tribus errantes ; les alliances ont tout fait. Il y a bien là de quoi faire réfléchir les hommes d’état, rois et philosophes, qui ont la prétention de conduire le genre humain : Erudimini qui judicatis terram !

Intéressante par son climat et ses populations, la Sibérie mérite aussi d’être étudiée à un autre point de vue qu’il nous suffira d’indiquer en finissant : nous voulons parler des ressources qu’elle pourrait offrir à l’industrie et au commerce. Si l’on en croit M. Hill, les deux ports russes de l’est de la Sibérie, Okhotsk et Pétropaulosk, n’ont aucune importance commerciale, et cependant la pêche de la baleine, celle des morses ou chevaux marins à dents d’ivoire pourraient enrichir plusieurs villes marchandes. Maintenant que les citoyens des États-Unis sont établis sur le Pacifique, il est probable qu’ils ne laisseront pas longtemps improductive cette branche d’industrie maritime. Tous les baleiniers que vit M. Hill étaient Américains ou Français. En général on peut dire que l’occupation de la Sibérie orientale, en y comprenant surtout le Kamtchatka, est purement nominale, d’une part à cause du petit nombre de Russes qui s’y trouvent disséminés, et de l’autre par le peu d’autorité que le gouvernement exerce sur les populations nomades, dont même plusieurs sont encore insoumises. Un petit monument envoyé de Saint-Pétersbourg a été érigé à Pétropaulosk en l’honneur de notre compatriote La Pérouse, le hardi et habile explorateur de ces côtes sauvages. L’érection de ce monument a eu lieu peu de temps après le passage de l’expédition de M. l’amiral Dupetit-Thouars. Les équipages des baleiniers sont parfois obligés de prolonger d’un an leur station dans ces lointains parages pour compléter leur chargement. Les baleiniers que vit M. Hill parlaient de ces retards d’une année, comme dans la baie de Baffin on parle d’un retard d’une semaine ou d’un mois. Tout le monde sait de quelle grande importance sont les navigations lointaines pour former de bons matelots ; ainsi la pêche