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On a calculé que l’Algérie a une étendue superficielle de 39 millions d’hectares, équivalant en superficie aux trois quarts de la France, qui a 52 millions d’hectares, et l’on a conclu que, peuplée comme la France, c’est-à-dire à 57 habitans par kilomètre carre, elle pourrait nourrir une population de plus de 22 millions d’habitans. Tout cela est spécieux. L’Algérie possède, il est vrai, 39 millions d’hectares, mais il y en a 26 millions qui appartiennent à la région du désert, et ce n’est pas dans cette région extrême et aride qu’on prétend sans doute implanter la colonisation. Restent donc 13 millions d’hectares, appartenant à la région des cultures, à la zone du Tell, et encore, si l’on veut bien tenir compte de la configuration du sol colonisable, des chaînes de rochers et des ondulations violentes qui sont autant d’obstacles à la viabilité ou à la circulation des eaux, on se convaincra facilement que c’est tout au plus 4 millions d’hectares qu’il est possible d’exploiter en Algérie d’ici à la fin du siècle, et 2 millions de colons qu’on peut y établir.

Quatre millions d’hectares ! Est-ce pour une si faible adjonction de territoire colonisable que notre pays a sacrifié tant d’or et tant de sang ? Mais la France, possède dans son propre sein plus de 4 millions d’hectares en friche, qu’il serait certainement possible de livrer à la culture à moins de frais que ne nous en a coûté jusqu’ici la possession de l’Algérie. L’Afrique est bien encore par excellence la terre des céréales, comme du temps où elle avait été surnommée le grenier de Rome. Ce ne serait cependant pas la peine d’aller demander de l’autre côté de la Méditerranée les 3 ou 4 millions d’hectolitres de blé qui nous font défaut dans les années mauvaises, quand il suffirait seulement de brûler les bruyères de nos landes pour leur faire produire les moissons qui nous manquent. Quatre millions d’hectares livrés à la culture extensive, c’est-à-dire aux céréales et aux troupeaux, n’indemniseraient jamais la France de ses frais d’installation en Afrique. Et puis les grains d’Afrique et la viande, qui nous seraient d’un certain secours dans les années mauvaises, ne feraient-ils pas double emploi avec nos propres produite dans les années abondantes. C’est précisément ce qui arrive cette année. Nos récoltes ont été assez abondantes pour nous dispenser de nous approvisionner au dehors ; or il arrive que les cultivateurs d’Afrique, alléchés par le haut prix où leurs grains s’étaient vendus l’an dernier sur le marché français mal approvisionné, ont doublé leurs cultures de céréales. Que feront-ils de leurs excédans de récolte ? Ils seront obligés de les vendre à vil prix, après avoir établi leurs calculs sur les tarifs de 1853. Une crise naîtra inévitablement de cette situation, et cette crise, si nous livrions l’Algérie aux cultures que la France est censée produire suffisamment, se représenterait invariablement toutes les fois que nos récoltes ne laisseraient pas de déficit dans notre approvisionnement. D’ailleurs la colonisation est inutile, si l’Algérie ne doit être cultivée que comme un en-cas de l’alimentation métropolitaine. La population indigène, composée de 2,500,000 individus, est parfaitement à même de produire, sur les 9 millions d’hectares placés en dehors îles zones de la colonisation, les 3 ou 4 millions d’hectolitres de grains qui pourraient faire défaut à notre approvisionnement dans une année mauvaise.

Le rôle que l’Algérie est appelée à jouer dans nos destinées est tout différent