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romaine. Dans ces études, l’impassibilité de l’historien n’est pas aussi constante, aussi inflexible que dans l’histoire des Faux Demetrius et de don Pèdre le Justicier. Le sentiment moral se fait jour, non pas aussi souvent qu’on le souhaiterait, mais assez clairement pour qu’on ne croie pas l’auteur indifférent aux faits qu’il raconte. Le défaut le plus saillant de ces deux livres, si recommandables d’ailleurs sous le rapport du savoir, c’est la confusion du texte et des notes. Je m’explique. Le nouvel historien de Catilina, qui a redressé Salluste en plus d’un point, au lieu de reléguer ses preuves à la fin du volume, ou de les citer au bas des pages, a trop souvent mêlé la discussion à la narration. Il y a dans son savoir une sorte d’ostentation qui s’accorde mal avec la clarté, avec la rapidité du récit. Il ne se contente pas d’épuiser les textes et de nous apporter le fruit de ses lectures et de ses réflexions ; il lui arrive, en nous racontant les scènes les plus émouvantes, des souvenirs inopportuns dont il veut se débarrasser, et qui excitent chez le lecteur des mouvemens d’impatience et de dépit. Qu’il accepte ou qu’il répudie le sentiment des philologues qui ont mis en doute l’authenticité complète des Catilinaires, c’est une question qui doit être agitée dans les pièces justificatives ; l’empreinte d’un tel doute n’est qu’un hors-d’œuvre dans le récit. Il faut laisser aux érudits de profession, aux hommes qui ont pâli sur les textes antiques et qui connaissent à fond les différens âges de la langue latine, l’étude et la solution de ces problèmes délicats. La masse des lecteurs n’a pas à s’en inquiéter. Depuis le père Hardouin, qui révoquait en doute l’authenticité des odes d’Horace, et qui les donnait hardiment comme l’œuvre d’un moine du moyen âge, les doutes philologiques sur de pareilles matières sont volontiers considérés comme de purs jeux d’esprit ; il semble superflu de s’y arrêter. Que telle ou telle forme de langage s’accorde ou ne s’accorde pas avec la diction des Tusculanes ou des Lettres à Atticus, ce n’est pas une raison suffisante pour affirmer ou pour nier l’authenticité des Catilinaires ; ce serait tout au plus un motif plausible pour supposer des interpolations. Et d’ailleurs la masse des lecteurs, n’étant pas compétente, ne saurait prendre un grand intérêt à ce genre de discussion.

Dans la critique, M. Posper Mérimée a fait preuve d’une rare sagacité ; ce qu’il a écrit sur Miguel Cervantes, sur Byron, sur Ticknor, sur Grote, révèle chez lui un merveilleux talent d’analyse. Ce qu’on pourrait justement lui reprocher dans ces sortes d’études, ce serait de présenter sa pensée sous une forme trop concise, et d’accorder trop de confiance à la pénétration du lecteur. Il parle en très bons termes, en juge consommé, de Cervantes et de Byron ; mais il aurait pu dire ce qu’il dit dans une langue plus abondante, et la cause de