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froids et indifférens. Parfois l’indifférence fait place à l’horreur ; mais le sentiment nouveau que l’historien éveille en nous est d’autant plus pénible que l’auteur ne paraît pas le partager. Il nous raconte des scènes de meurtre et de carnage avec une impassibilité qui rappelle les biographies impériales de Suétone. Je ne crois pas qu’il soit aussi impassible qu’il veut le paraître ; je pense au contraire qu’il se calomnie en affectant l’impassibilité. S’il était de glace devant les plus grands forfaits, comme le donnerait à croire sa narration, il n’aurait pas écrit les admirables récits qui nous ont si vivement émus depuis Mateo Falcone jusqu’à Colomba. C’est une attitude qu’il a choisie comme un gage d’impartialité. Nous devons lui dire qu’il s’est trompé : l’émotion devant le crime n’est pas défendue à la justice. Que l’historien des Faux Démétrius ne s’abuse pas plus longtemps à cet égard. Tacite n’est pas moins juste que Suétone, et pourtant il ne cache pas son indignation en racontant les débauches et les cruautés de Tibère, ou plutôt Suétone semble étranger aux sentimens du juste et de l’injuste. C’est pourquoi j’ai peine à comprendre que M. Prosper Mérimée l’ait choisi pour modèle. Si nous consentions à le prendre au mot, nous serions amené par la rigueur de la déduction logique à le croire dépourvu de sens moral, et certes une telle conclusion est bien loin de notre pensée. L’auteur de Colomba possède le sentiment du juste et de l’injuste : il ne voit pas dans le succès la mesure du droit. L’absence de sentiment moral ne peut se concilier avec l’élévation de son talent, et je ne veux pas m’associer à la calomnie qu’il semble avoir voulu diriger contre lui-même ; il comprend aussi bien que nous toute la turpitude, toute l’infamie des scélératesses qu’il nous raconte. S’il s’abstient de prononcer un jugement, c’est pour se donner une gravité que son cœur dément. – l’Histoire de don Pèdre le Justicier mérite les mêmes éloges et les mêmes reproches que l’histoire des Faux Démétrius. Je trouve en effet dans ces deux livres la même aptitude, la même ardeur pour les investigations historiques, et en même temps, il faut bien le dire, le même dédain affecté pour le vice et la vertu. C’est un travers que je ne veux pas prendre au Sérieux. L’auteur a prouvé plus d’une fois depuis vingt-neuf ans qu’il est capable d’émotion ; il a pris un masque en abordant l’histoire.

Ses études sur l’histoire romaine, la Guerre sociale et la Conjuration de Catilina, lui assignent un rang très élevé parmi les érudits de notre temps. Pour écrire ces deux études, il a puisé à toutes les sources d’information, depuis les monumens écrits jusqu’aux monumens figurés ; il s’est adressé tour à tour aux textes grecs et latins, à la numismatique ; il a interrogé sans relâche tous les documens que le passé nous a légués sur ces deux épisodes mémorables de l’histoire