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c’est tout au plus une réunion de matériaux qui attendent, pour s’animer, qu’une main puissante vienne les mettre en œuvre. Quand parut la Jacquerie, il était de mode dans les salons de confondre l’invention poétique avec la vérité historique. Les beaux esprits de la restauration, les orateurs de canapé supprimaient à leur insu l’imagination, et croyaient de bonne foi que Comines, l’Estoile et Saint-Simon, habilement découpés, allaient régénérer le théâtre. L’éditeur de Clara Gazul ne pouvait accepter une telle hérésie, il ne confondait pas l’imagination et la mémoire ; mais il est probable qu’avant d’écrire Inès Mendo il aura voulu essayer ses forces en peignant un des plus terribles épisodes du moyen âge. Comme étude, ce tableau n’est pas sans intérêt. Envisagé sous le rapport poétique, il ne peut prendre rang à côté d’Inès Mendo et des Espagnols en Danemark.

Les Mécontens, le Carrosse du Saint-Sacrement, l’Occasion, ont été accueillis comme de spirituelles esquisses où l’auteur semble se jouer. La poltronnerie politique est habilement crayonnée dans les Mécontens ; dans le Carrosse du Saint-Sacrement, l’impertinence des comédiennes s’offre à nous sous des couleurs que n’eût pas dédaignées le pinceau de Le Sage, mais ce n’est pas à ces esquisses ingénieuses qu’il faut demander la mesure des facultés dramatiques de l’auteur. Les Deux Héritages nous offrent un sujet d’étude plus sérieux. Il y a dans cette comédie, qui ne pourrait d’ailleurs affronter la lumière de la rampe, une remarquable finesse d’observation. Le lecteur sent à chaque page qu’il a devant lui des personnages dessinés d’après nature. Le dialogue est bien conduit, les ridicules vivement accusés ; mais les personnages ont quelque chose de trop individuel dans le sens anecdotique du mot. Pour peu qu’on prenne la peine de les analyser, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’on a devant les yeux des portraits et non des types. Il doit y avoir, pour la pleine intelligence de cette comédie, une clé que je ne possède pas, que je ne me flatte pas de trouver. Les portraits qui amènent le sourire sur nos lèvres sans réussir à nous égayer excitent sans doute une hilarité homérique chez ceux qui connaissent les originaux. La ressemblance absolue, qui est un mérite pour les privilégiés, ne signifie pas grand’ chose pour la foule, spectateurs ou lecteurs. Il faut à la foule une vérité générale, des types composés d’après un grand nombre de modèles, et non des portraits dont la vérité individuelle ne peut être appréciée que par les initiés. Or dans les Deux Héritages cette vérité générale fait défaut. C’est pourquoi, tout en rendant pleine justice à la vivacité du dialogue, à l’enchaînement des scènes, au ridicule bien saisi et bien montré, je me refuse à voir dans cet ouvrage une vraie comédie. Non seulement il ne convient pas à la scène, ce qui ne serait a mes yeux qu’un défaut très excusable, puisqu’il n’a été offert