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Ce que je voudrais établir, c’est la nécessité pour la génération nouvelle d’abandonner la fantaisie pour la vérité. Or Colomba est à coup sur un des meilleurs argumens que je puisse invoquer. Il n’y a pas un chapitre de ce roman qui semble inspiré par la fantaisie ; mais en revanche, tout est simple, tout est vrai. L’auteur met constamment le naturel au-dessus de l’inattendu. Si c’est un défaut pour quelques esprits prévenus, c’est un grand mérite pour la foule aussi bien que pour les hommes voués aux études littéraires. L’émotion vaut mieux que l’étonnement, c’est une vérité acquise depuis longtemps à la discussion, que le succès de Colomba est venu rajeunir. Tandis que la fantaisie multiplie à profusion les incidens, les coups de théâtre, les hommes qui ne conçoivent pas l’exercice de l’imagination sans le secours de l’observation et de la philosophie se contentent d’émouvoir sans vouloir étonner. C’est à cette classe d’écrivains qu’appartient M. Prosper Mérimée. Depuis Mateo Falcone jusqu’à Colomba, il n’a jamais cherché l’émotion hors de la vérité. Il semble au premier aspect qu’il n’y ait pas là matière à louange, et pourtant, quand on prend la peine d’y songer, on s’aperçoit que c’est aujourd’hui quelque chose de plus qu’un mérite vulgaire, et qu’il n’en faut pas davantage pour prétendre à l’originalité. Ne rien tenter en dehors de la vérité, maxime facile à suivre ! Pas si facile qu’on le pense. Pour ne rien tenter en dehors de la vérité, il faut d’abord se donner la peine de l’étudier ; or c’est là un labeur qui répugne à la génération nouvelle. Quelque chemin que nous prenions en discutant le mérite des œuvres littéraires, nous sommes toujours amené à proclamer la nécessité de l’étude, c’est-à-dire à protester contre l’improvisation, car l’improvisation qui supprime l’étude supprime trop souvent la vérité. L’auteur de Colomba, qui n’a jamais écrit une page sans savoir d’avance ce qu’il allait dire, s’est de bonne heure résigné à l’étude, et de bonne heure a connu la vérité. Si je ne me trompe, il s’est appliqué tour à tour à commenter les livres par la vie, et la vie par les livres : c’est la seule manière de comprendre profondément la pensée d’autrui et sa propre pensée. Fortifié par cette double épreuve, l’esprit peut aborder sans défiance les plus difficiles travaux, les tâches les plus délicates. Dans les sujets mêmes qui semblent ne relever que de l’imagination, la vérité ne perd pas ses droits, ou plutôt c’est la substance de toute poésie. Inventer sans tenir compte de la nature humaine, telle qu’elle se révèle à nous dans la vie de chaque jour, ou telle que nous la voyons se manifester dans l’histoire, est une gageure contre le bon sens que les plus habiles ne réussiront jamais à gagner. L’auteur de Colomba s’est toujours contenté d’un rôle plus modeste : il n’a pas cru pouvoir se passer de la vérité. Les mots assemblés en