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sans la connaître. La Chronique du temps de Charles IX révèle, du moins une connaissance profonde du XVIe siècle, et, ce qui vaut mieux encore, une connaissance complète de la passion. J’y trouve réunies la vérité locale et passagère et l’éternelle vérité. Y a-t-il beaucoup de livres qui méritent un pareil éloge ? On a reproché à l’auteur de n’avoir envisagé, de n’avoir peint qu’un seul côté de la passion, le côté sensuel. À mon avis, le reproche est injuste. Et d’abord il ne peut s’appliquer à Mergy, chez qui le cœur parle plus haut que les sens. Quant à Diane, si elle n’aperçoit dans les premiers aveux de Mergy qu’une aventure de plus, la candeur et l’ingénuité de son amant ne tardent pas à changer le cours de ses pensées ; elle de ouvre en lui des trésors de tendresse qu’elle n’a jamais rencontrés dans les plus beaux cavaliers de la cour, et la femme voluptueuse disparaît devant la femme passionnée. Il n’est donc pas vrai que l’auteur, en dessinant cette figure gracieuse et hardie, n’ait offert au lecteur que le côté sensuel de la passion. Ce qu’on pourrait lui reprocher avec justice, c’est d’avoir plus d’une fois dans ce récit envisagé l’amour comme une maladie, d’en avoir décrit les symptômes avec une précision qui appartient à la science médicale, et qui étonne chez un poète. Voilà ce qu’on pourrait blâmer à bon droit dans la Chronique du temps de Charles IX ; mais ce défaut est amplement racheté par la franchise, par la rapidité du dialogue. Si l’auteur observe et décrit les symptômes de l’amour comme pourrait le faire un médecin au chevet du malade, quand il s’agit de mettre aux prises l’amant timide qui n’ose espérer le bonheur, qui doute de sa force, qui n’ose compter sur l’attrait de sa jeunesse, et la femme éprouvée déjà par de nombreuses aventures, souvent trompée, souvent poussée à la perfidie par l’abandon, la science s’efface et l’art reprend tous ses droits. Nous n’avons plus devant nous le professeur de clinique, mais le poète, nous oublions les symptômes décrits pour ne plus songer qu’aux paroles ardentes échangées entre les deux amans.

C’est pourquoi, tout en reconnaissant, tout en signalant les défauts de ce livre, je ne puis m’empêcher d’y voir une protestation salutaire contre les excès de la fantaisie. Les personnages n’ont rien de singulier, rien d’inattendu ; il n’y a pas une de leurs paroles qui nous étonne. Ce naturel constant dans le langage, cette vraisemblance dans l’action qui ne se dément jamais, sont-ils des preuves d’indigence poétique ? Je laisse au bon sens du lecteur le soin de répondre. La simplicité, qui semble coûter si peu, est, dans le domaine de l’art, une des conquêtes les plus difficiles. Tel écrivain qui, sans effort, réussit à étonner serait fort en peine d’émouvoir. Il affecte pour la simplicité un superbe dédain, et ne s’aperçoit pas qu’aux yeux des