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long article dans la Revue anglaise de Calcutta. J’envoyai aussitôt dans plusieurs cabinets de lecture, mais aucune des savantes directrices de ces établissemens ne put me procurer la Revue de Calcutta, et je me suis adressé non moins vainement à M. Julien et à M. Pauthier, ces antagonistes érudits qui ont enrichi la science de deux grandes découvertes. M. Julien, le fameux sinologue, a découvert que M. Pauthier ne sait pas le chinois, tandis que M. Pauthier, grand indianiste, a découvert que M. Julien ne sait pas le sanscrit ; ils ont publié beaucoup de livres sur ce sujet à la fois très important et très intéressant pour le public.

Depuis lors je n’ai pas fait d’autres recherches sur ma gloire japonaise. En ce moment, elle m’est aussi indifférente par exemple que la gloire que je possède dans les îles de Finlande. Hélas ! la gloire, cette manne sucrée, douce comme l’ananas et la flatterie, elle s’est changée en amertume pour moi depuis bien longtemps, et elle me semble maintenant amère comme l’absinthe. Je puis dire comme Roméo : Je suis le fou de la Fortune. Je me trouve à présent devant la grande marmite, mais je manque de cuillère. À quoi cela me sert-il qu’on boive à ma santé au milieu des festins dans des coupes d’or et avec les vins les plus exquis, si pendant ces ovations, loin et isolé de tous les plaisirs du monde, je ne puis humecter mes lèvres qu’avec une fade tisane ! À quoi cela me sert-il que toutes les roses de Schiras s’épanouissent et brûlent pour moi, éclatantes de tendresse ! — Hélas ! Schiras est situé à deux mille lieues de la rue d’Amsterdam, où dans la triste solitude de ma chambre de malade je ne sens d’autres parfums que ceux des serviettes chauffées. Hélas ! la moquerie de Dieu pèse sur moi. Le grand auteur de l’univers, l’Aristophane du ciel, a voulu faire sentir vivement au petit auteur terrestre, au soi-disant Aristophane allemand, à quel point ses sarcasmes les plus spirituels n’ont été au fond que de pitoyables piqûres d’épingle, en comparaison des coups de foudre que son humour divin sait lancer sur les chétifs mortels.

Oui, l’amer flot de raillerie que le grand maître déverse sur moi est terrible, et ses épigrammes sont cruelles à faire frémir. Je reconnais humblement sa supériorité, et je me prosterne devant lui dans la poussière. Cependant, quelque faible que soit ma verve créatrice, comparée à celle du grand créateur, la raison éternelle n’en brille pas moins dans ma tête, et j’ai le droit de citer devant son tribunal et de soumettre à sa critique respectueuse la plaisanterie de Dieu, mon seigneur et maître. C’est ainsi que tout humblement j’ose faire observer d’abord que la plaisanterie atroce qu’il m’inflige me semble se prolonger un peu trop ; voilà plus de six ans qu’elle dure, ce qui finit par devenir maussade. Puis je voudrais aussi faire remarquer, en toute humilité, que cette plaisanterie n’est pas neuve,