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Je n’ai sans doute pas besoin de dire expressément que, de même qu’il ne régnait en moi aucune haine aveugle contre l’église romaine, de même aucune petite rancune contre ses prêtres ne pouvait se glisser dans mon âme. Ceux qui connaissent mes dons satiriques et les besoins de mon humour, qui m’entraînent souvent irrésistiblement vers la caricature, attesteront à coup sûr que j’ai toujours ménagé les faiblesses humaines du clergé. Et pourtant je fus bien des fois, à une certaine époque, poussé à d’amères représailles par ces rats cagots et venimeux qui s’agitent dans les sacristies de la Bavière et de l’Autriche, et qui, s’ils ne font pas grand mal par leurs morsures, en font d’autant plus par les nausées que vous cause leur puanteur. Cependant, même dans mon dégoût le plus violent, je gardai toujours ma vénération pour les véritables représentans du sacerdoce, parce qu’en reportant mes regards vers le passé, je me souvenais à quel point des prêtres catholiques avaient autrefois bien mérité de moi. C’était en effet à des prêtres catholiques que j’avais dû dans mon enfance ma première instruction ; c’étaient eux qui avaient guidé les premiers pas de mon esprit. Encore à l’école secondaire, que je visitai plus tard à Düsseldorf, et qui, sous le gouvernement français, s’appelait lycée, les professeurs étaient presque tous des prêtres catholiques, et ils s’occupèrent avec un zèle bien charitable de la culture de mon intelligence. Depuis l’invasion prussienne, et quand cette école reçut le nom gréco-prussien de gymnase, ces ecclésiastiques furent peu à peu remplacés par des professeurs laïques. Avec eux, on écarta aussi leurs livres de classe, ces manuels, ces chrestomathies de peu de volume et écrits en latin qui dataient encore des écoles de jésuites. Ces vieux livres furent également remplacés par des grammaires nouvelles et des chrestomathies plus volumineuses, écrites en un idiome allemand ou plutôt prussien, pédantesque jargon fort scientifique, fort abstrait, bien moins intelligible pour les jeunes têtes que ne l’avait été le latin des jésuites, cette langue facile, saine et naturelle. De quelque façon qu’on juge les jésuites, on est forcé de convenir qu’ils ont toujours fait preuve de beaucoup de sens pratique dans l’enseignement. Si, guidés par le système que vous savez, ils ont souvent mutilé dans leurs leçons la connaissance de l’antiquité, du moins ils ont beaucoup répandu parmi des auditeurs de toute condition cette connaissance de l’antiquité, ils l’ont pour ainsi dire démocratisée en la faisant entrer dans le peuple. Tout au contraire, avec la méthode prussienne d’aujourd’hui, le savant isolé, l’aristocrate de l’esprit apprend mieux à connaître l’antiquité et les anciens ; mais la grande masse de la population allemande ne garde plus que fort rarement dans sa mémoire quelque bribe classique, quelque lambeau d’Hérodote, quelque fable d’Ésope ou un vers d’Horace, comme cela avait lieu autrefois, quand