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inconstance en toute chose, et de faire ressortir en même temps leur chaste et pieuse invariabilité, cousue dans une peau d’ours des plus épaisses. Cette réclamation est donc dirigée contre de véritables bêtes et non pas contre l’ogre de Rome. J’ai déjà, il y a longtemps, renoncé complètement à faire la guerre au catholicisme romain, et je laisse depuis des années reposer dans le fourreau le glaive que j’avais tiré jadis au service d’une idée ; mais non d’une passion personnelle. En effet, je n’étais dans ce combat pour ainsi dire qu’un officier de fortune qui se bat bravement, mais qui, après la bataille ou l’escarmouche, ne garde aucune goutte de fiel dans son cœur, ni pour la chose combattue, ni pour ceux qui la défendent. Une inimitié fanatique contre l’église de Rome ne pouvait exister en moi, parce que je manque de cet esprit borné qui est nécessaire pour une telle animosité. Je connais trop bien ma taille intellectuelle pour ne pas savoir que je n’aurais guère, même par les plus furieux assauts, pu faire la moindre brèche à un colosse tel que l’église de Saint-Pierre ; je pouvais tout au plus être un modeste manœuvre dans une lente démolition, qui pourra durer encore bien des siècles. J’étais trop versé dans l’histoire pour n’avoir pas reconnu les proportions gigantesques de cet édifice merveilleux. — Nommez-le toujours la bastille de l’esprit, soutenez toujours que cette forteresse n’est plus défendue aujourd’hui que par des invalides : il n’en est pas moins vrai que cette bastille ne serait pas facile à enlever, et certes plus d’un jeune assaillant ira encore se rompre le cou contre ses créneaux. Comme penseur, je n’ai jamais pu refuser mon admiration à l’enchaînement ingénieux et conséquent de tout ce système religieux et moral qu’on nomme l’église catholique, apostolique et romaine ; aussi puis-je me vanter de n’avoir jamais, par la raillerie et le persiflage, attaqué ni son dogme, ni son culte, et l’on m’a fait à la fois trop d’honneur et trop de déshonneur en m’appelant un parent de Voltaire par l’esprit Je fus toujours poète, poète véritable, et c’est pourquoi la poésie qui fleurit et brille dans les symboles du dogme et du culte catholiques a du se révéler à moi bien plus profondément qu’à d’autres. Moi aussi, j’étais souvent, dans ma jeunesse, enivré par la douceur intime et infinie de cette poésie spiritualiste, et la délirante joie sépulcrale qui y domine me faisait souvent frissonner de délice. Moi aussi, je m’exaltais alors pour la reine immaculée des deux, je mettais en vers coquets les légendes de sa grâce divine et de sa miséricorde sans bornes ; mon premier recueil de poésies contient de cette belle époque d’enthousiasme pour la madone maintes traces que j’ai effacées toujours avec une préoccupation mesquine dans les recueils suivans.

Les années de la vanité sont passées, et je permets à chacun de sourire de ces aveux.