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Je n’avais auparavant pas beaucoup aimé Moïse, probablement à cause de l’esprit hellénique qui prédominait en moi, et parce que je ne pardonnais pas au législateur des Juifs sa haine contre tout ce qui est image, contre toute représentation plastique, enfin contre l’art. Je ne voyais pas que Moïse, malgré ses anathèmes contre l’art, était pourtant lui-même un grand artiste, et possédait le vrai génie artistique. Seulement le génie artistique de Moïse, comme celui de ses compatriotes les Égyptiens, était dirigé de préférence vers le colossal et l’indestructible, et cependant il différait du génie égyptien en ce qu’il ne formait pas ses œuvres d’art de tuiles et de granit ; non, il construisait des pyramides d’hommes, il ciselait des obélisques humains. Il prit une pauvre tribu de bergers, la pétrit entre ses mains et en forma un peuple capable de braver également les siècles, un peuple grand, et saint, et éternel, un peuple de Dieu, propre à servir de modèle à tous les autres peuples et à devenir même le prototype de l’humanité entière : il créa Israël ! À bien plus juste titre que le poète romain, cet artiste, fils d’Amram et de la sage-femme Jochevit, peut se vanter d’avoir élevé un monument fait pour survivre à toutes les créations d’airain !

De même que le maître, son œuvre aussi, le peuple hébreu, n’a jamais été traitée par moi avec assez de vénération, et cela sans doute encore à cause de ma nature gréco-païenne, je dirais à cause de la partialité de mon esprit athénien, qui abhorrait l’ascétisme de la Judée. Ma prédilection pour le monde hellénique a diminué depuis. Je vois à présent que les Grecs n’ont été que de beaux adolescens, tandis que les Juifs ont toujours été des hommes, des hommes puissans et indomptables, non seulement jadis, dans l’antiquité, mais encore jusqu’à nos jours, malgré dix-huit siècles de persécution et de misère. J’ai appris depuis à mieux les apprécier, et si tout orgueil de naissance n’était pas une contradiction saugrenue dans la bouche du champion des principes démocratiques de la révolution, l’auteur de ces pages pourrait se glorifier d’avoir eu des ancêtres appartenant à la noble maison d’Israël, d’être un descendant de ces martyrs qui ont donné au monde un Dieu, qui ont promulgué le code éternel de la morale, et qui ont vaillamment combattu sur tous les champs de bataille de la pensée.

L’histoire du moyen âge et même celle des temps modernes on : rarement noté dans leurs annales les noms de ces chevaliers de Dieu, car ceux-ci combattaient d’ordinaire la visière baissée. Pas plus que les hauts faits des Juifs, leur véritable caractère n’est connu du monde. On croit les connaître parce qu’on a vu leurs barbes, mais jamais on n’en a aperçu davantage, et comme au moyen âge ils sont encore aux temps modernes un mystère ambulant. Ce mystère sera