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Les aveux qui précèdent feront comprendre au lecteur bénévole pourquoi je sentis de l’éloignement et bientôt même une aversion complète pour mon travail sur la philosophie de Hegel. J’avais reconnu que l’impression d’un tel écrit ne pouvait être salutaire ni au public ni à l’auteur, et un jour que le feu pétillait bien gaiement dans mon foyer, je jetai mon manuscrit dans les flammes, comme avait fait jadis mon ami Kitzler en pareille occasion. Puis quand ces feuilles, fruit de tant de labeur, s’envolèrent en fumée, j’entendis dans la cheminée un sifflement ricaneur comme le rire d’un démon.

Ah ! si je pouvais anéantir de la même manière tout ce que j’ai jamais fait imprimer sur la philosophie allemande ! Mais cela est impossible, et comme je ne puis pas même empêcher la réimpression d’ouvrages déjà écoulés, il ne me reste qu’à confesser publiquement que mon exposition des systèmes de philosophie allemande, développés dans les trois premières parties de mon livre de l’Allemagne, contient des erreurs très pernicieuses, comme l’atteste d’ailleurs le passage suivant d’une préface explicative destinée à trouver place dans une réimpression de ce livre.


« Pour l’avouer avec sincérité, j’aimerais à pouvoir me dispenser tout à fait de réimprimer le livre de l’Allemagne. Depuis qu’il a paru, mes idées sur bien des choses, principalement sur les choses divines, ont subi une grande transformation, et plus d’une des opinions que j’émis alors a fait place dans mon esprit à des convictions contraires que je crois meilleures ; mais la flèche n’appartient plus à l’archer dès qu’elle est partie de la corde de l’arc, et la parole ne nous appartient plus dès qu’elle a quitté nos lèvres, et qu’elle a même été multipliée par la presse. En outre, des droits d’éditeur élèveraient contre moi des objections irrécusables, si je voulais ne plus réimprimer ce livre et le retirer de la collection complète de mes ouvrages. Il est vrai que je pourrais employer la ressource usitée en pareil cas, celle d’adoucir mes expressions et de voiler leur effrayante nudité par des phrases, par des feuilles de vigne hypocrites ; mais je hais du fond de l’âme toute duplicité de langage, toute parole équivoque, tous les expédions de la lâcheté littéraire. Cependant il reste à l’honnête homme, dans toutes les circonstances, le droit imprescriptible d’avouer franchement ses erreurs, et c’est de ce droit que j’userai ici sans crainte ni jactance. Je confesse, donc ouvertement et franchement que tout ce qui a rapport dans ce livre à la grande question divine est aussi faux qu’irréfléchi. Aussi irréfléchi que faux est le jugement que j’avais répété d’après mes maîtres des différentes écoles philosophiques, que le déisme est détruit par la logique en théorie, et qu’il ne subsiste plus que piteusement dans le domaine d’une foi agonisante. Non, il n’est pas vrai que la critique de la raison, qui a anéanti les preuves de l’existence de Dieu, telles que nous les connaissons depuis Anselme de Cantorbéry, ait anéanti en même temps l’idée de l’existence de Dieu. Le déisme vit, il vit de sa vie la plus véritable, la plus éternelle : il n’a pas expiré, et il n’a pas été le moins du monde