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l’Ecossais se montre le plus sévère, et ne pas cultiver les dons que Dieu a mis en nous lui semble un blasphème contre la Providence. Nous attendons un second ouvrage d’Alexandre Smith avec curiosité, mais sans impatience, car nous espérons pour lui qu’il ne se hâtera pas trop de le faire. Dans son premier livre, il règne une subjectivité trop absolue, et, si l’on me passe l’expression, il s’y est trop entièrement versé lui-même pour qu’on puisse savoir encore bien au juste quelle part dans son inspiration reviendrait à l’art, et comment il s’y prendrait pour manier des élémens étrangers, en dehors de son individualité personnelle. Du reste à lui, ainsi qu’à ceux qui suivent la voie opposée à la sienne, on peut adresser ce même éloge : qu’une égale sincérité les anime tous indistinctement ! Tous tendent au même but, la gloire de l’art, et ne diffèrent que sur les moyens à employer pour y atteindre. Le détachement des biens de la terre, porté à une si grande élévation par Shelley, est aussi la loi de ses disciples ; la conscience dans le travail est une obligation rigoureuse, et l’on n’a pas à craindre, nous le croyons du moins, de jamais voir les coryphées de la jeune école vendre pour de l’argent les misérables restes d’une verve éteinte, ou s’avilir en cherchant des succès de mauvais aloi sur une route qu’ils reconnaissent fausse. Nous n’en voulons pour garantie que ce sonnet déjà célèbre d’Alexandre Smith :


« Quel déploiement d’esprit se fait autour de ces malheureux qui vainement cherchent à voleter de leurs ailes impuissantes sans pouvoir s’élever à un pouce au-dessus de la terre ! Pauvres rimeurs, comme on fulmine contre eux, les poursuivant jusqu’à la mort ! Arrière, hommes et critiques ! Est-ce donc si nécessaire de les briser, et, les faisant tournoyer comme feuilles sèches dans la trombe de votre grosse hilarité, de les jeter, par-dessus les confins du monde, dans le purgatoire ? Hommes et critiques, oh ! sachez-le donc bien, sous le soleil éternel nulle douleur n’égale celle d’une âme dont tous les courans tendent, forts comme la vie elle-même, vers la poésie, ainsi que les rivières vers la mer, mais jamais, jamais ne l’atteignent ! — Critique, laisse en paix cette âme-là, laisse-la gémir dans son enfer sans lui donner ton coup de pied. Oh ! charitable mort, viens, toi ; embrasse et soulage cette âme si fatiguée ! »


Non-seulement, dans l’original, ce sonnet est fort beau par l’expression et par la forme, mais il prend rang parmi ces choses que l’on doit s’honorer d’avoir faites. Quiconque sent si vivement le respect dû à l’art dans la personne même de ses enfans déshérités ne profanera point le temple. Il se taira peut-être pour toujours, mais s’il se remet en communication avec le public, son œuvre sera assurément le fruit de la conviction la plus loyale, et comme telle méritera toujours l’attention sérieuse des plus sérieux esprits.


ARTHUR DUDLEY.