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inattendu de la nature, — au fond de quelque forêt ou au tournant de quelque fleuve, — une confirmation nouvelle de leur intime justesse. Comme exemple, je prends au hasard le passage suivant (le livre fourmille de semblables morceaux). Un infortuné qui se croit en droit de se plaindre de Dieu et des hommes se retourne vers les « forces élémentaires » du panthéisme et leur demande des consolations. — « Voyez là bas, s’écrie-t-il, cette carrière abandonnée, labourée par l’explosion de la mine, éventrée par le fer ; nature bienfaisante, tu l’as prise, toi, sous ta garde ; des richesses de tes doux printemps et de les étés embaumés tu as recouvert ses cicatrices, cachant ses déchiremens sous les avalanches de tes fleurs. Oh ! nature maternelle, prends ainsi mon cœur, ce cœur dévoré de passion et d’ennui. Cache aussi ses cicatrices, verse ton baume sur ses plaies. » Ce sont là de ces images dont la beauté vous saisit irrésistiblement. Devant ces grandes excavations dévastées par la main de l’homme, et où presque toujours se déploie un luxe inouï de végétation, l’idée de la tendre sollicitude de l’universelle mère peut bien vous prendre, et, les charmantes lignes d’Alexandre Smith dans la mémoire, on se demande si ces spirales empourprées de la digitale, ces odorans tapis de bruyère, ces blancs liserons ne seraient point en effet des caresses de la nature ! Se pénétrer ainsi du sens intime des objets extérieurs, vous le rendre plus clair et vous forcer, en vous rappelant l’explication, à vous écrier : « Que c’est vrai ! comme c’est bien réellement cela ! » tels sont, si je ne me trompe, les signes véritables par lesquels se manifeste la véritable vocation poétique.

Nous l’avons dit, c’est dans les détails que brille surtout le talent d’Alexandre Smith ; or voilà précisément le terrain sur lequel dans ce moment deux camps se livrent bataille en Angleterre. « Point d’accessoires ! disent les uns, le détail ne compte pas ; l’image est une superfétation qui détruit la pureté des grandes lignes de l’action. L’action, le fait, voilà l’élément de la poésie. » À cette assertion les autres peuvent trouver une réponse dans ces paroles d’Alexandre Smith : « La joie des joies du poète est d’extraire de toute chose une image. Les images s’amoncèlent sur le sujet du discours comme de brillans coquillages sur une plage déserte. » Des deux côtés, on arriverait facilement, à l’exagération. Non, le fait seul ne suffit pas à la poésie, sans quoi de quelle utilité, je vous prie, seraient les accessoires dont Shakspeare, par exemple, est si plein ? Mais le détail aussi est impuissant à produire isolément la perfection que vous recherchez. D’un côté, l’écueil, c’est l’aridité ; de l’autre, la confusion. Entre ces deux expressions de l’idée, qu’on pourrait assez exactement représenter l’une par un kaléidoscope, l’autre par une figure géométrique, vous oubliez la forme humaine, ce qui sent, ce qui vit.