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complaire aux nouvelles théories de l’empereur Alexandre, ne se contentait plus de combattre en fait la révolution, et promulguait hautement les principes du droit divin, absolu, indéfectible de la royauté. Le sentiment britannique ne pouvait s’accommoder à de telles doctrines, il ne le pouvait pas surtout dans une circonstance où elles devaient s’exprimer et se réaliser au moyen de l’occupation de l’Espagne par les forces de la France, dont l’influence sur ce pays est, depuis près de deux siècles, l’objet de la constante jalousie du peuple anglais. Ce que lord Londonderry aurait dû faire lui-même sous peine de perdre le pouvoir, mais ce qui lui eût été malaisé, engagé comme il l’était par ses antécédens, — son successeur Canning, porté au pouvoir par la force de l’opinion malgré l’aversion du roi et de la plupart des ministres, le fit sans difficulté, sans hésitation, avec l’ardeur et l’entraînement aventureux de son caractère : il rompit ouvertement avec la politique du continent, il brisa les liens de la grande alliance, et dès ce moment l’Angleterre, encore dirigée pendant quelques années dans son gouvernement intérieur par les conseils du vieux torysme, entra résolument dans cette carrière de diplomatie libérale, révolutionnaire même, où elle a marché depuis presque sans interruption.

Je viens de raconter l’ensemble des actes diplomatiques de lord Castlereagh. J’ai dit, en commençant mon récit, que ces actes, sérieusement étudiés, étaient de nature à modifier favorablement le jugement un peu sévère que l’on a souvent porté sur ce célèbre ministre. Il ne fut sans doute pas, même au point de vue restreint de la politique extérieure, un homme d’état de premier ordre. Les succès prodigieux auxquels il eut le bonheur d’attacher son nom furent, pour la plupart, le résultat d’événemens trop indépendans de son action personnelle pour qu’il en rejaillisse sur lui une gloire comparable à celle de lord Chatham faisant succéder, par la puissance de son indomptable énergie, les triomphes éclatans de la guerre de sept ans aux revers humilians qui en avaient marqué le début, ni même à celle du second Pitt soutenant seul, au milieu des revers, le drapeau de l’indépendance européenne contre l’ascendant alors tout-puissant de la France républicaine ou impériale. Lord Castlereagh n’appartenait pas à cette famille des politiques du premier rang. Il n’était pas de ceux qui maîtrisent les circonstances et qui changent les conditions dans lesquelles le hasard les a placés ; mais il avait le mérite bien grand et bien rare de se rendre compte de ces conditions, de savoir apprécier ces circonstances et d’en tirer tout le parti possible. Il possédait à un haut degré le courage, la patience, la sagacité. Il est des temps et des pays où cela suffit pour faire de grandes choses.


L. DE VIEL-CASTEL.