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philosophiques, par son aspiration incessante vers le vrai, et par le respect idolâtre qu’il professe pour l’amour, le culte dont il entoure ce qui atteint à la sublime hauteur de la passion véritable. Dans l’une de ses pièces de vers les plus remarquables à tous égards, intitulée la Vie enterrée (the Buried Life), après s’être fort éloquemment plaint du peu de connaissance que l’homme a de lui-même, du peu d’accord qui existe entre le moi et les actions extérieures, et de la triste facilité humaine à accepter des vertus et des défauts d’emprunt, M. Arnold s’écrie :


« Alors seulement (oh ! mais que cela est rare !), alors qu’une main aimée presse la nôtre, alors qu’assourdis, éblouis du bruit et de l’éclat du monde, nos yeux lisent distinctement au fond des yeux d’un autre, et que notre oreille se laisse caresser par les sons d’une voix chérie, alors quelque chose dans notre poitrine se desserre, et il se réveille une sensation perdue. — l’œil regarde en dedans, le cœur nous livre son étendue ; ce que nous pensons, nous l’exprimons ; ce que nous voulons nous paraît clair. L’homme suit alors un moment le mystérieux courant de sa vie enterrée, entend ses murmures, voit ses bords fleuris, sent quel soleil éclaire les flots et quel vent les agite…

« Alors il se fait une halte dans la course effrénée où il poursuit sans cesse le repos, ombre fugitive qui toujours lui échappe. — Une fraîcheur inconnue souffle sur son front, un calme inusité se répand par toutes ses veines ; — alors il croit savoir les hauteurs où son être prend sa source, l’insondable océan vers lequel il va. »


La divine toute-puissance de l’amour, célébrée si éloquemment par M. Arnold, nous amène directement à M. Alexandre Smith, dont c’est là une des croyances inspiratrices. « Crois-tu, dit-il en terminant son livre, crois-tu que l’amour peut racheter toutes les fautes ? Cette foi te sauvera ; mais doutes-en, et tu es perdu ! » C’est encore Shelley qui le premier en Angleterre osa concevoir l’idée de sanctifier ainsi la passion, et ce ne fut pas un des moindres griefs du cant contre lui. On confondit la passion avec le libertinage, et on condamna Shelley comme immoral, tandis que le dévouement à un seul, à l’être aimé, arrivait chez lui aux proportions d’un culte. Son seul tort réside dans son incertitude à l’égard des liens à imposer à l’amour ; la moindre formalité l’effraie ; il n’a point dépassé l’âge où la liberté semble d’une plus grande beauté que l’ordre, et il craint le mariage plutôt qu’il ne le condamne. Chez ses disciples, pareille irrégularité ne se constate nulle part. Tout est bien un peu vague si l’on veut, mais le devoir est partout proclamé, et on ne trouve aucune trace de révolte contre les institutions. Chez Alexandre Smith, par exemple, l’égarement d’un moment se paie au prix du plus persistant chagrin, et le désespoir de la vie entière n’est envisagé que comme la juste punition d’un péché de jeunesse. Ces vues austères du reste