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française passât les Pyrénées pour aller délivrer Ferdinand VII, prisonnier de la révolution, et le rétablir dans l’exercice de ce qu’ils appelaient ses droits légitimes. Le cabinet était loin d’avoir à cet égard des idées aussi arrêtées. M. de Villèle, qui ne tarda pas à en devenir le chef, et qui dès lors en était le membre le plus considérable, éprouvait pour cette intervention, et en général pour tout ce qui pouvait aboutir à une guerre, une répugnance fondée, il faut le dire, moins sur un sentiment réel de modération ou sur une appréciation plus ou moins éclairée des grands intérêts de la France que sur la crainte de déranger l’équilibre financier et d’arrêter les progrès de la prospérité matérielle du pays, dont le développement était à ses yeux l’unique objet de la politique. Comme le ministère précédent, il eût voulu se borner à opérer en Espagne une transaction qui fît de Ferdinand VII un roi constitutionnel investi de pouvoirs suffisans pour assurer le maintien de l’ordre ; mais une telle transaction n’eût satisfait, ni au-delà ni en-deçà des Pyrénées, le parti ultra-monarchique. Sur la pente où le nouveau cabinet se trouvait placé par les espérances même que son avènement avait fait concevoir à ce parti, il ne lui était pas possible de s’arrêter à ce terme moyen, bien difficile d’ailleurs à mettre en pratique. Les royalistes espagnols, se croyant désormais sûrs d’un appui, coururent aux armes. Les insurrections, la guerre civile éclatèrent de toutes parts. Les constitutionnels modérés qui composaient alors le ministère espagnol, compromis par les efforts même qu’ils avaient faits pour s’interposer entre les partis extrêmes, durent céder la place à de purs révolutionnaires, et l’on put dire, non sans quelque exagération, mais avec une certaine vraisemblance, que l’action d’une force étrangère était devenue indispensable pour préserver la Péninsule du renouvellement des horreurs qui avaient désolé la France en 1793.

M. de Villèle résistait pourtant encore, mais la position devenait difficile, d’autant plus que, dans le conseil même, l’intervention comptait des partisans, et que le ministre des affaires étrangères surtout, M. de Montmorency, inclinait fortement dans ce sens. Pour gagner du temps en donnant une satisfaction au moins apparente à ses adversaires, M. de Villèle consentit à ce que la question fût portée devant le congrès qui était sur le point de se réunir à Vérone pour délibérer, comme cela avait été convenu à Laybach, sur les affaires d’Italie et de Grèce. Il fut décidé que M. de Montmorency s’y rendrait, non pas pour proposer formellement l’intervention de la France comme déjà résolue par le gouvernement du roi, mais pour demander aux souverains alliés et à leurs ministres jusqu’à quel point ce gouvernement, s’il s’y décidait, pourrait compter sur leur approbation et sur leur concours.