Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme les éditeurs des Archives et des Mémoires sur l’Académie, s’imposent une extrême réserve, et croient avoir assez fait quand ils ont publié des documens irrécusables. Pourtant ils n’accomplissent ainsi que la moitié de leur tâche. C’est à ceux qui savent qu’il appartient de parler, et de parler surtout à ceux qui ignorent, sous peine de laisser le premier venu et les ignorans eux-mêmes prendre sans façon la parole. Le fait, on le sait de reste, n’est pas des plus rares aujourd’hui. Tout le monde lit ce qui s’imprime, — et que n’imprime-t-on pas ? — sur les salons, sur tel tableau ou tel maître contemporain ; pourquoi ne lirait-on pas avec une égale bonne volonté ce qui a trait à l’histoire même de la peinture en France, si cette histoire était racontée au lieu de se trouver morcelée en chapitres à l’usage des antiquaires ? Il ne suffit pas d’être compris par quelques hommes spéciaux et de les intéresser, soit en les confirmant dans leurs propres opinions, soit en mettant sous leurs yeux des pièces oubliées au fond des archives et des bibliothèques. Il ne faut pas, quand on s’occupe de recherches sur notre école, avoir seulement en vue quelque satisfaction à procurer aux membres de l’Académie des Inscriptions. Le point essentiel est de nous instruire tous tant que nous sommes, et de mettre la science au niveau des intelligences peu familiarisées avec les études longues et pénibles. Nous avons besoin, en un mot, qu’on interprète les faits principaux à notre profit, et qu’on ne se contente plus de produire des titres ou des faits de détail. Si les efforts des érudits étaient dirigés en ce sens, chacun y trouverait son compte : le public aurait à juger la valeur de l’interprétation ; mais, pour connaître l’histoire de la peinture française, il n’en serait plus réduit à comparer des textes, à parcourir des répertoires d’actes de toutes sortes, à s’imposer enfin un travail de compilation que peu de gens sont d’humeur à entreprendre, et bien moins encore à poursuivre jusqu’au bout. Quant aux peintres contemporains, qui, faute d’autres écrits sur les arts, ne lisent guère que les journaux où il est question d’eux et de leurs confrères, ils sentiraient à leur tour plus vivement en quoi les antécédens de notre école les obligent, et jusqu’à quel point ils autorisent les tentatives d’affranchissement. Les enseignemens auraient ainsi pour tous une utilité immédiate et une application actuelle. L’histoire du passé ne peut nous être tout à fait profitable qu’autant qu’elle nous donne une intelligence plus nette du présent, et il serait assez oiseux de satisfaire notre curiosité sur quelques points d’archéologie, si nous n’arrivions avant tout à concevoir une idée plus haute de l’art lui-même, à nous pénétrer de ses beautés et à mieux comprendre ses lois.


HENRI DELABORDE.