Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des luttes au dehors et quelques scissions à l’intérieur, l’Académie, réorganisée en 1663 sous la protection de Colbert, n’a plus, à partir de cette époque, ni intrigues à déjouer, ni ennemis sérieux à combattre. Il lui arrive bien encore de rencontrer parfois quelques rancunes ou d’avoir affaire à des gens de difficile humeur : témoin Pierre Mignard, qui, en sa qualité de « prince de l’Académie de Saint-Luc, » - titre pompeux sous lequel il abritait à la fois sa vanité et celle des jurés de la maîtrise, — prétend traiter avec Lebrun de puissance à puissance, et ne consent à faire partie de l’Académie royale qu’après la mort de celui-ci. Encore faut-il pour vaincre ses répugnances qu’on le nomme par ordre du roi, et dans une seule séance, académicien, recteur, chancelier et directeur à la place de ce même Lebrun dont les façons d’agir semblent presque modestes au prix d’une telle arrogance et de ces airs de souverain. En général, cependant, les artistes qui se succèdent en France depuis le règne de Louis XIV jusqu’à la fin du XVIIIe siècle sont loin d’afficher de pareils dédains et de croire qu’il y ait chance de salut pour eux en dehors de l’Académie. Tous au contraire s’empressent d’y solliciter une place comme la sanction nécessaire de leurs talens, et cet empressement est d’autant plus facile à comprendre que les seuls académiciens avaient le droit d’exposer leurs ouvrages au salon[1]. Pas un peintre remarquable, si ce n’est toutefois Lantara, dont le nom ne figure sur la longue liste des membres successivement élus, pas un talent d’une certaine valeur qui ne vienne à son tour ajouter ou emprunter quelque chose à l’illustration de la compagnie. David lui-même, en dépit de ce rôle révolutionnaire qu’il prit dès le début dans le domaine de l’art et qu’il allait bientôt continuer, — avec quel emportement, on le sait, — sur un autre théâtre, David tient à honneur, en 1783, d’obtenir les suffrages de ceux qu’il appelle encore ses maîtres. Ce n’est qu’au moment où l’Académie, battue en brèche comme tout ce qui subsiste du passé, va s’écrouler et faire place à la commune générale des arts, qu’il refuse de siéger plus longtemps parmi les membres de cet « ordre de la noblesse, » comme disait un autre ingrat, le peintre Jean-Bernard Restout. « Je fus autrefois de l’Académie, » écrit pour toute réponse David à ses confrères qui lui rappelaient qu’en vertu des règlemens, son tour était venu de professer[2], et

  1. Les peintres n’appartenant pas au corps académique, soit qu’ils ne se fussent pas présentés encore, soit qu’ils eussent été refusés, étaient réduits, pour donner de la publicité à leurs tableaux, à les exposer sur les murs de la place Dauphine le jour de l’Ascension. L’usage de cette exposition en plein air, dont la durée, dans les commencemens, était de deux heures seulement, se maintint jusque sous le règne de Louis XVI. En 1791, pour la première fois le salon fut ouvert à tous les peintres sans distinction ni privilège.
  2. Archives de l’Art français, t. Ier. — Ce billet est daté du 4 mai 1793.