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d’abord popularisées : artistes si obstinément français par le goût et par les principes, que l’invasion de la manière italienne ne semble pas même les avoir émus, et qu’en dépit du Rosso et de la turbulente école qui s’agitait à Fontainebleau, ils ne songèrent ni à renier la foi de leurs maîtres, ni à se détourner de leur modeste voie.

Le livre de M. Léon de Laborde, la Renaissance des arts à la cour de France, venge, nous l’avons dit, ces sages artistes de l’oubli où étaient tombés, sinon tous leurs ouvrages, au moins les faits relatifs à leur existence et quelquefois leurs noms. Déjà M. Vitet, dans sa belle étude sur Eustache Lesueur[1], avait consacré quelques pages à la réhabilitation de la manière française telle que la représentent les portraitistes du XVIe siècle. Les recherches de M. de Laborde achèvent d’éclaircir la question, et nous apprennent de plus que cette habileté dans l’art du portrait, tout en étant le titre principal des peintres attachés à la cour depuis le règne de François Ier jusqu’à celui de Henri IV, n’était pas pour cela leur titre unique. Antoine Caron par exemple, connu jusqu’ici comme peintre de portraits, « exécutait des tableaux de bataille de quinze pieds de long[2], » tandis que Nicolas Labbé et Camille Labbé, son fils, peignaient sur la frise d’une salle, « lors de l’entrée du roi à Paris en 1570, seize tableaux d’histoire et de figures poétiques d’après les indications des poètes Ronsard et Dorat. Or cette frise avait dix pieds de haut sur cent trente-deux pieds de long. » On peut juger d’après ces faits de l’activité et de l’abondance d’une école qui joignait d’ailleurs à ces mérites une incomparable finesse et une naïveté de sentiment très préférable à la manière outrée des Florentins venus en France. Ajoutons qu’aujourd’hui même la publication que poursuit M. Niel des Portraits des personnages français les plus illustres du seizième siècle vient mettre les pièces du procès sous les yeux de tous. Il est donc permis d’espérer que, grâce à cette coïncidence, entre la publication du livre de M. de Laborde sur la Renaissance et la reproduction par le burin des portraits les plus précieux de l’époque, notre longue indifférence pour les dignes aïeux de notre école cessera une fois pour toutes, et que les noms des Clouet, entre autres, trouveront place dans nos souvenirs à côté du nom de Jean Cousin.

  1. Voyez cette étude dans la Revue du Ier juillet 1841.
  2. La vie et les ouvrages de Caron oui été assez récemment l’objet d’un travail intéressant de M. Anatole de Montaiglon : Antoine Caron de Beauvais, peintre du seizième siècle ; Paris 1850. M. de Montaiglon mentionne, il est vrai, dans l’œuvre de l’artiste, plusieurs compositions sur des sujets pieux ou mythologiques indépendamment des dessins conservés au musée du Louvre, mais il ne donne nulle part à entendre que ce talent se soit exercé dans des ouvrages de grande dimension.