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d’attribuer sa longue durée et le rang qu’elle occupe aujourd’hui. Elle est, — qui songerait à le nier ? — la première entre les écoles contemporaines, et depuis six siècles elle existe, inégalement riche sans doute, mais en tout temps fort au-dessus de l’indigence. Six siècles, avons-nous dit : on se récrie, faisons le compte.

À en croire la plupart des historiens, le premier peintre digne de considération dans notre pays serait Jean Cousin, en qui on a coutume de montrer une sorte de Cimabue français, un prophète sans précurseurs apparaissant au milieu de ses compatriotes pour tirer l’art de la barbarie. Il suivrait de là qu’avant la seconde moitié du XVIe siècle à peu près, le rôle de la peinture en France avait été purement négatif, et qu’à l’époque où l’Italie venait d’enfanter ses plus savans artistes, ici l’on en était encore à attendre la venue d’un homme de talent et un commencement de doctrine. Que fait-on cependant de ces mille miniaturistes qui se succédèrent dans les couvens à partir du règne de saint Louis, — pour ne citer que les plus habiles, sans parler des plus anciens[1], — et qui nous ont légué une admirable suite de travaux diversifiés par la manière, mais réunis entre eux par la piété des intentions, par l’ingénuité du sentiment et la précision du style ? Faut-il oublier aussi que, depuis l’origine de la peinture sur verre, nous avons été maîtres dans un art où les Italiens eux-mêmes ne se sont essayés qu’avec un médiocre succès ? Malheureusement il en est de nos peintres verriers du moyen âge comme des moines qui enrichissaient de miniatures les manuscrits : ils ont laissé des chefs-d’œuvre, mais ils n’ont pas laissé de noms, et l’attention se porte malaisément, dans notre pays, sur les talens anonymes. Enfin il n’est que juste de réclamer une part d’honneur et de souvenir pour ces peintres de portraits qui, vers la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe, continuèrent dans un art nouveau les traditions de naïveté et de finesse que la peinture sur vélin avait

  1. Nous ne comptons pas non plus d’autres travaux de peinture qui prouvent que, même antérieurement au XIIIe siècle, l’art français ne consistait pas tout entier dans l’enluminure des livres de chœur et des missels. Les fresques trop peu connues de l’église Saint-Savin près Poitiers, celles de Saint-Pierre-les-Églises dans le même canton, d’autres fragmens qu’on voit encore dans plusieurs villes ou villages des départemens de la Vienne et de la Haute-Loire attestent qu’avant l’époque de la première renaissance italienne, la peinture murale était pratiquée en France aussi habilement pour le moins que de l’autre côté des monts. Les fresques de Saint-Savin, dont quelques-unes semblent appartenir aux premières années du XIe siècle, sont loin d’être inférieures, sous le rapport de la composition et du style, a ce qui reste des fresques peintes dans la chapelle souterraine de Santa-Maria-Novella, à Florence, par les artistes grecs maîtres de Cimabue. Enfin les tapisseries et les mosaïques qui, dès les premiers siècles de la monarchie, ornaient les églises et les abbayes, pourraient être citées aussi comme indice de nos goûts pittoresques à une époque barbare, et se relieraient utilement à l’histoire des origines de la peinture en France.