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faites par Reynolds, Gainsborough et plus récemment par Lawrence et le paysagiste Constable, les peintres anglais n’ont profité de ces découvertes que pour se dispenser de sentir. Ils ont beau multiplier les produits ; ils ne font, à quelques exceptions près, la plupart du temps, qu’augmenter le nombre des redites, et même la prétendue réforme que tente aujourd’hui la secte des préraphaélites n’aura peut-être d’autre résultat qu’une nouvelle transformation du pastiche.

En Italie enfin, n’est-ce pas l’abus de l’imitation matérielle qui a énervé et anéanti l’art le plus beau qu’aient vu fleurir les âges modernes ? Chacun connaît les immortels témoignages de sa puissance, les chefs-d’œuvre de ces maîtres, les premiers du monde ; mais se souvient-on assez que le règne des peintres excellens a amené dans toutes les écoles italiennes une ère d’avilissement et de rapide décadence ? Voyez ce qui se passe à Florence après Michel-Ange, à Rome après Raphaël, à Parme après Corrège, dans chaque lieu où quelque grand artiste a laissé trace de son génie et frayé à ses successeurs une route nouvelle. Tout effort cesse, tout s’immobilise. Les héritiers des maîtres copient à satiété les surfaces de la manière inaugurée par ceux-ci, et semblent prendre à tâche d’user dans cette pauvre besogne leur propre réputation et la gloire de leurs modèles. C’en est fait dès lors des écoles italiennes. Leur fécondité stérile pourra faire illusion quelque temps encore, mais le culte du procédé a tari en elles la source vive. Partout les grands peintres, après avoir surgi vers la même époque, ont presque simultanément disparu, et les dernières années du XVIe siècle ne se sont pas encore écoulées, qu’une foule d’élèves dégénérés, en prétendant embrasser la cause de leurs maîtres, n’arrivent qu’à trahir la cause de l’art et à précipiter sa ruine.

Rien de pareil dans l’histoire de la peinture en France. À certains momens, il est vrai, les succès d’un artiste éminent peuvent, en éveillant l’esprit d’imitation, suspendre la marche de l’école : l’empire exercé en ce sens par Lebrun ou, plus près de nous, par David, prouve que les peintres de notre pays ne savent pas toujours se préserver de l’engouement et de la routine ; mais cette manie, qui ailleurs conduit à la mort, n’est ici qu’une fièvre passagère, une maladie dont on revient. L’art français renaît vivace et sain après chaque période de langueur, tandis que l’art étranger, une fois hors de la bonne voie, a rarement la force d’y rentrer. Mieux qu’aucune autre, notre école sait allier dans une juste mesure l’étude des anciens modèles et la recherche des qualités conformes au mouvement intellectuel de chaque époque, le respect des règles fixes de l’art et l’instinct de ses conditions variables. C’est à cette souplesse d’intelligence en même temps qu’à ces convictions immuables qu’il convient