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de la Russie, d’accord avec les vives sympathies qui s’attachaient, dans l’Europe presque entière, à la cause des Hellènes. M. de Metternich ne vit pas tout cela. Il parut quelquefois se livrer, avec la légèreté qui se mêle en lui à des facultés si éminentes, au plaisir de mystifier (si l’on peut ainsi parler) le cabinet de Saint-Pétersbourg, de lui faire concevoir des espérances qui ne devaient pas se réaliser, d’obtenir ainsi de lui des ajournemens, des concessions qui, par cela même qu’elles n’étaient pas payées de retour, devenaient des humiliations véritables. Sa partialité trop évidente pour la Porte eut le double résultat de l’encourager, de la rendre intraitable dans sa résistance et d’exciter à la longue dans le gouvernement russe de vifs et profonds ressentimens. Il est vraisemblable que l’esprit plus calme et plus circonspect du marquis de Londonderry, s’il lui eût été donné de diriger plus longtemps les affaires de son pays, n’eût pas persévéré jusqu’au bout dans cette politique imprudente ; mais il n’était pas destiné à en voir le développement complet et le résultat définitif.

À l’époque où nous a conduits la suite de ce récit, les préoccupations principales des gouvernemens furent d’ailleurs détournées de l’Orient par les événemens qui survinrent dans l’Europe occidentale. Depuis quelque temps déjà, tout faisait pressentir en France un grand changement. Les ultra-royalistes, enhardis par la défaite des révolutionnaires italiens, étaient devenus plus exigeans. Le ministère du duc de Richelieu n’ayant pas consenti à augmenter la part qu’il leur avait faite dans la distribution des fonctions publiques, ils avaient rompu violemment avec lui, — et MM. de Villèle et Corbières, qui étaient entrés au conseil à la fin de l’année précédente, avaient donné leur démission. Les élections, auxquelles on avait procédé suivant l’usage annuel pour le renouvellement d’un cinquième de la chambre des députés, étaient venues grossir les rangs de ce parti, tandis que les libéraux, discrédités et découragés par leurs violences et par leurs échecs multipliés, s’étaient vus réduits à un petit nombre de nominations, et que le parti modéré, celui des défenseurs du pouvoir, avait lui-même échoué dans la plupart des collèges. Le ministère eût probablement réussi à prolonger son existence en acceptant le concours de la gauche, qui, dans leur défaite commune, le lui aurait volontiers accordé pour quelque temps à certaines conditions ; mais M. de Richelieu et ses collèges pensèrent avec raison qu’après ce qui s’était passé depuis trois ans, et dans les conjonctures où l’on se trouvait, in ne convenait, sous aucun rapport, de tenter un nouveau 5 septembre. Ils se décidèrent donc, non pas encore à se retirer, mais à combattre tout à la fois les deux partis extrêmes. Il arriva ce qui arrive toujours en pareil cas. Les deux oppositions se