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mieux : par une vieille réminiscence, on abolissait les droits de douane, et on ouvrait la porte à toutes les marchandises entassées à Gibraltar, lesquelles eussent mis deux ans à entrer par contrebande. Partout les juntes nommaient ou destituaient les fonctionnaires, créaient ou supprimaient des emplois, abolissaient des contributions, fermaient des maisons religieuses, expulsaient des missionnaires, suspendaient les lois. Le gouvernement a fini cependant par dissoudre la plupart de ces juntes, qui s’étaient singulièrement multipliées, en ne conservant que celles qu’il s’était, vu forcé d’autoriser dis le premier moment ; mais ce n’est que depuis peu de jours qu’il a prononcé cette dissolution, en même temps qu’il se décidait à prendre quelques mesures contre, le déchaînement des journaux et des clubs à Madrid.

C’est que le gouvernement était sans autorité réelle ; il travaillait péniblement lui-même à savoir ce qu’il voulait, ce qu’il devait et ce qu’il pouvait. En attendant, celle révolution de la moralité et de la liberté devenait une véritable curée des emplois publics. Diplomatie, magistrature, administration, tout a été renouvelé en Espagne. Récemment encore tous les juges de Madrid étaient remplacés. Il y a même un fait singulier dans tout ce mouvement : divers ministres, imitant en cela les juntes, affectaient de rappeler, en replaçant des fonctionnaires, qu’ils avaient été révoqués en 1843. Cette date de 1843 est devenue une sorte de mot d’ordre, l’objet d’une superstition. Les députations provinciales, les ayuntamientos, étaient rétablis tels qu’ils étaient en 1843. Des nominations même faites dans les dernière momens de la régence d’Espartero retrouvaient leur force. Cela rappelle en vérité ce mot ironique d’un humoriste désabusé, de Larra, qui prétendait que les révolutions espagnoles consistaient dans une opération d’arithmétique. Il s’agissait simplement de retrancher le temps qui s’était écoulé depuis la dernière révolution, après quoi on se retrouvait juste au point d’où l’on était parti. Si le gouvernement, en replaçant des magistrats destitués en 1843, voulait rendre hommage au principe de l’inamovibilité, il s’ensuit que par le même motif il faudrait rendre leurs fonctions aux magistrats qui avaient été révoqués en 1840, et on voit où cela pourrait conduire ; s’il cherchait une satisfaction de parti, c’était voir dans les événemens actuels le triomphe du plus triste esprit de coterie.

Ce n’est là par malheur qu’un des traits de la situation présente ; le plus grave peut-être est cette attitude de négociation permanente que le ministère a cru devoir prendre avec les factions, et ici, il faut bien le dire, c’est dans le chef même du gouvernement, dans le duc de la Victoire, que se personnifie, cette triste impuissance, trop voisine parfois de la complicité. Espartero n’est point sans doute un révolutionnaire de préméditation, mais il est de ceux qui laissent faire les révolutionnaires, soit par indolence de caractère, soit par calcul, soit par un zèle jaloux et prévoyant pour sa popularité. Sans esprit d’initiative, il laisse aller les événemens, et comme il n’en domine et n’en repousse aucun, il semble que tous puissent trouver en lui un complice. Il y a peu de jours, il acceptait la présidence d’un club dit de l’Union, et sait-on quoi était le programme de ce club ? Il demandait que la constitution proclamât la souveraineté du peuple ; il réclamait la suppression des contributions indirectes, l’établissement d’un impôt unique, l’instruction pu-