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et qui fait explosion toutes les fois que la main du pouvoir se trouve affaiblie par une cause quelconque. Si les symptômes en sont plus destructifs en Turquie, c’est parce que, dans ce malheureux pays, il rencontre toutes les passions, tous les préjugés, et par-dessus tout ces animosités religieuses qui donnent aux commotions civiles leur caractère le plus odieux et le plus affligeant. La position limitrophe des états de votre majesté impériale, la sympathie religieuse que la grande masse de ses sujets porte à la population grecque de la Turquie, les nombreuses relations commerciales et autres qui ont lieu réciproquement entre les populations des deux empires, et aussi les anciennes jalousies qui résultent nécessairement des souvenirs de l’histoire, placent votre majesté en première ligne sur ce théâtre de difficultés européennes.

« Il serait superflu de faire perdre le temps de votre majesté impériale en travaillant à lui prouver que la Turquie, malgré toute sa barbarie, constitue dans le système de l’Europe ce qu’on peut appeler un mal nécessaire. C’est une excroissance qu’on peut à peine regarder comme formant partie intégrante de son organisation dans l’état de santé, et cependant, pour cette raison même, toute tentative d’introduire l’ordre dans ses élémens hostiles par une intervention extérieure ou de l’assimiler à la masse peut exposer le corps entier de notre système général aux plus grands périls. La question véritable qu’il est urgent de prendre en considération est celle-ci : comment le danger sera-t-il éloigné des autres états, et comment les puissances voisines réussiront-elles le mieux à maintenir leurs relations pacifiques avec un pays livré à de telles convulsions ? Cette question est surtout pressante en ce qui concerne les états de votre majesté impériale, et elle se subdivise en deux points : 1o les chances qui existent pour que la paix des provinces de votre majesté soit troublée par l’insurrection qui s’étend de ce côté ; 2o les injures et les outrages auxquels ses serviteurs et ses sujets ont été et peuvent être exposés dans l’empire turc.

« Relativement au premier point, je crois qu’il n’y a rien ou du moins fort peu à craindre, et qu’avec la force imposante que votre majesté peut réunir sur les frontières, on est en droit de considérer comme impossible que la contagion pénètre dans les limites du territoire russe. Le second mal est plus pressant, et on ne peut que déplorer les épreuves auxquelles, d’après les dernières nouvelles de Constantinople, la longanimité de votre majesté, peut être exposée sous ce rapport. Croire ou même désirer que votre majesté ne défende pas, au moment convenable, les justes droits de sa couronne et de son peuple, c’est ce qui ne peut entrer dans la politique du gouvernement anglais ; mais moins on peut douter de la puissance de votre majesté, plus les événemens de la dernière guerre ont élevé sa position, plus aussi elle est en mesure de temporiser et de laisser l’ouragan s’épuiser de lui-même. L’empire turc, en ce moment, ne semble pas seulement infecté de tout le venin des principes modernes, mais agité jusqu’à la fureur par les anciennes animosités qui lui sont particulières. Le gouvernement aussi bien que la population a, pour l’instant, abdiqué ses facultés ordinaires de raison et de prudence, et s’est abandonné à une folie frénétique, à un esprit aveugle de guerre intérieure et exterminatrice. Ce n’est pas dans de telles conjonctures