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sans bruit l’horizon après la chaleur du jour ; la mer était calme, et le silence n’était Interrompu que par la cloche du quart, qui retentissait par intervalles à bord de chaque navire. Tout rappelait l’idée de la puissance invincible imposant la paix et la civilisation.

Trois heures à peine séparent le mouillage de Ledsund de la grande île d’Alaud. Partis de Ledsund à cinq heures du matin, nous étions à huit heures en vue de Bomarsund et au milieu des navires formant la seconde division.

Voici quelle scène nous avions devant les yeux. En face de nous, la forteresse de Bomarsund, sur un petit promontoire de la côte orientale de la grande île Aland ; à l’est, la petite île de Præstoe avec une tour séparée de la forteresse par un très petit détroit ; au nord, dans la grande île, une seconde tour fortifiée ; à l’ouest enfin, une troisième tour placée sur une hauteur et dominant la citadelle, mais à moitié ruinée. Au pied de cette tour, en descendant vers le rivage, on aperçoit les décombres du bourg de Skarpans, riche et florissant il y a un mois, mais brûlé récemment par les Russes pour ôter toute protection aux assaillans. Tout à côté, dans un chemin creux, une partie de nos soldats ont dressé leurs tentes ; le reste du camp français est un peu à l’ouest, derrière, la hauteur ; le camp des Anglais est au nord de la seconde tour, et ne s’aperçoit pas de la mer. Au-dessous du village ruiné, un grand chemin conduit au rivage, où les Russes ont construit un excellent débarcadère en bois. Nos soldats sont occupés à y conduire les pièces d’artillerie pour les embarquer et les remporter à bord des vaisseaux, des sentinelles sont dispersées au pied de la citadelle et des tours ; les pavillons français et anglais flottent sur le toit circulaire de la forteresse ; un campement de soldats du génie occupe l’île de Praestoe, où les Russes ont aussi brûlé quelques habitations. Un lourd soleil pèse sur ce roc sauvage et sur ce rivage malsain ; c’est l’image de la dévastation et de la stérilité.

Suivant les rapports de nos soldats, dont les pièces officielles nous permettront bientôt de contrôler l’exactitude, la première attaque a été faite le dimanche 13 août contre la tour occidentale. Le combat durait depuis trois heures du matin, lorsqu’on vit les assiégés, à quatre heures de l’après-midi, hisser un pavillon blanc à l’une des fenêtres de la tour. Le général Baraguey d’Hilliers donna l’ordre à un de ses aides de camp et au capitaine Cochrane d’aller avec deux pavillons, anglais et français prendre possession de la tour ; mais, quand ils approchèrent, le commandant russe leur apprit qu’il voulait, non pas se rendre, mais obtenir un armistice de deux heures. On lui accorda une heure seulement ; avant l’expiration de ce délai, pendant lequel on n’avait pu s’entendre, il avait lui-même recommencé le feu. Les batteries françaises répondirent vivement ; leurs boulets détruisaient les meurtrières pendant que les chasseurs de Vincennes, dispersés en tirailleurs, abattaient les canonniers. La nuit mît fin à la résistance, et les Français prirent possession du fort à trois heures du matin : un officier et trente hommes y furent faits prisonniers. La journée du lundi 14 aurait été seulement employée aux préparatifs du lendemain, malgré les provocations de la forteresse, auxquelles on ne répondit pas. Le mardi 15 août, de bon matin, les gros canons anglais attaquèrent la tour du nord. On peut juger de leur terrible effet sur ces forts