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dételle mérite louange ; c’est une marque d’esprit et d’un grand savoir-faire… Consolez-vous d’une mésalliance par le doux repos de n’avoir plus de créanciers dans le séjour de beaux, grands et magnifiques châteaux qui ne doivent rien à personne… Mme de Villeroi approuve toutes vos raisons. » Le mariage eut lieu à Grignan, le 2 janvier 1695, avec un grand éclat. Le fermier-général constitua en dot à sa fille 400,000 livres en argent comptant, dont la moitié devait être distribuée aux créanciers de la maison de Grignan. Ecoutons le duc de Saint-Simon sur les suites de ce mariage.


« Mme de Grignan, en présentant au monde sa belle-fille, en faisait ses excuses, et, avec sa minauderie, en radoucissant ses petits yeux, disait qu’il fallait bien de temps en temps du fumier sur les meilleures terres. Elle se savait un gré infini de ce bon mot, qu’avec raison chacun trouva impertinent, quand on a fait un mariage, et le dire entre bas et haut devant sa belle-fille. Saint-Amant, son père, qui se prêtait à tout pour les dettes, l’apprit enfin et s’en trouva si offensé qu’il ferma le robinet. Sa pauvre fille n’en fut pas mieux traitée ; mais cela ne dura pas longtemps. Son mari, qui s’était fort distingué à la bataille d’Hochstet, mourut, au commencement d’octobre (1704), à Thionville ; on dit que ce fut de la petite-vérole. Il avait un régiment, était brigadier et sur le point d’avancer. Sa veuve, qui n’eut point d’enfans, était une sainte, mais la plus triste et la plus silencieuse que je vis jamais. Elle s’enferma dans sa maison, où elle passa le reste de sa vie, peut-être une vingtaine, d’années, sans en sortir que pour aller à l’église et sans voir qui que ce fût[1]. »


Quant à Mlle Pauline de Grignan, la charmante, l’adorable Pauline, comme disaient sa grand’mère et tous les amis de la famille, elle épousa, dans l’année même où son frère s’était marié, un gentilhomme de Provence attaché à la maison du duc d’Orléans. « On mande de Provence, dit à ce sujet Dangeau à la date du 2 décembre 1696, que le marquis de Simiane a épousé Mlle de Grignan. Il a 25,000 livres de rente en fonds de terre. La demoiselle n’a que 20,000 écus, mais elle est fort jolie[2]. »

Mme de Sévigné ne vit pas s’accomplir ce dernier mariage ; elle était morte à Grignan le 18 avril 1696. Un mois après, le comte de Grignan exprima, dans une lettre simple et touchante, les regrets que lui causait cette mort. « Vous comprenez mieux que personne, écrivit-il à M. de Coulanges, la grandeur de la perte que nous venons de faire et ma juste douleur. Le mérite distingué de Mme de Sévigné vous était parfaitement connu. Ce n’est pas seulement une belle-mère que je regrette ; ce nom n’a pas accoutumé d’imposer toujours : c’est une

  1. Mémoires du duc de Saint-Simon, édit. Dclloye, t. VIII, p. 44.
  2. Mémoires de Dangeau [Œuvres de Lemontey).