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Tessé occupait cette province ; cependant, il avait écrit au comte de Grignan de couvrir Toulon. En vingt-quatre heures, celui-ci réunit quatre mille ouvriers, et après leur avoir fait rétablir les remparts, les fossés, les chemins couverts, fortifia à quelque distance de la ville un camp que le maréchal de Tessé vint occuper peu de jours avant l’arrivée des impériaux. « Ce vieux Grignan, dit à ce sujet le duc de Savoie, nous a gagnés de vitesse. » l’historien le plus populaire de la Provence, Papon, fait remarquer que ce camp tint en respect les assiégeans et sauva la ville. Déjà, les impériaux s’étaient emparés du fort Sainte-Marguerite. Il fallait les en débusquer « à tout prix ; on l’essaya, et on y parvint. Le vieux Papon raconte que ce jour-là le comte de Grignan, toujours à cheval malgré son âge, se battit pendant six heures comme un jeune officier. Le maréchal de Tessé le félicita sur place. Enfin, pour comble d’honneur, quelque temps après, le roi lui écrivit de sa main la lettre qui suit :

« Monsieur le comte de Grignan, on ne peut être plus content que je le suis des preuves que mes sujets de Provence m’ont données de leur valeur et de leur fidélité durant la dernière campagne et de celles que les communautés de la même province viennent de me donner de leur zèle pour le bien de mon service, par le concours prompt et unanime à m’accorder le secours qui leur a été demandé de ma part. Je désire que vous leur lassiez bien connoître le gré particulier que je leur en sais et mon attention à leur en donner des marques. Il ne se peut rien ajouter aussi à la satisfaction que j’ai de vos services, et je prie Dieu qu’il vous ait, monsieur le comte de Grignan, en sa sainte garde. À Versailles, le 30 novembre 1707. Louis[1]. »


VI

Jamais peut-être en France administrateur ne dirigea aussi longtemps les affaires de la même province que M. de Grignan. Nommé lieutenant-général de la Provence en 1670, il remplissait encore les mêmes fonctions en 1715. Au mois de janvier 1672, il avait eu le projet d’acheter la charge du maréchal de Bellefonds, premier maître d’hôtel du roi, et il y avait été fort encouragé par Mme de Sévigné, qui voyait dans la réalisation de ce projet le moyen de ne plus se séparer de sa fille. Celle-ci ne voulut pas y consentir. Flattée de tenir le premier rang dans un pays que cependant elle n’aimait pas, bien aise sans doute de conserver son indépendance et sa personnalité, qui sait encore ? préférant peut-être (le cœur humain a de ces misères) vivre un peu à distance de cette extrême affection de sa mère et de ces louanges infinies dont l’éternelle répétition était, suivant le duc

  1. Histoire de madame de Sévigné, par M. Aubenas, p. 500 et suiv.