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de Grignan voulut enfin refaire la grande façade méridionale à trois étages, à chacun desquels s’ouvraient douze fenêtres ornées de statues ; mais ces projets grandioses rencontrèrent les obstacles qui s’opposent d’ordinaire, chez beaucoup d’anciennes familles, à la reconstruction des vieilles demeures seigneuriales. L’argent manqua. Quoi qu’il en soit, le château de Grignan n’en était pas moins le plus beau de toute la contrée. Au rez-de-chaussée, une pièce a huit croisées contenait une galerie de tableaux. Au premier étage, on admirait, outre la Salle du Roi, dans laquelle un grand portrait de Louis XIV était scellé dans la boiserie, la Chambre des évêques, ornée de huit portraits de famille et de quatre grands tableaux représentant le Veau d’or, le Passage de la Mer-Rouge, Moïse sauvé des taux et l’Envoyé d’Abraham. D’autres pièces, la Chambre de Carcassonne, la Chambre d’Arles, la Chambre d’Ornano, la Chambre de la Reine, contenaient aussi un grand nombre de portraits et de tableaux. On inventaire dressé au XVIIIe siècle fait la description suivante d’une chambre du second étage dans laquelle, d’après la tradition locale, serait morte Mme de Sévigné : « de l’antichambre du second, on passe à la Chambre de la Bohémienne, où l’on voit un lit de damas cramoisi à l’impériale, garni de franges, sept chaises, trois tableaux, dont deux en dessus de porte, représentant l’Hiver et le Printemps, et le troisième, sur la cheminée, Madame de Grignan. La chambre est décorée d’une tapisserie de haute-lisse à personnages… On passe de là dans la Chambre de la Tour, à deux croisées, au-dessus du grand Cabinet de la Peine. On y trouve deux fauteuils à l’antique et neuf chaises de moquette à fond blanc et fleurs rouges et vertes, un tableau en dessus de porte représentant l’Architecture et la Peinture, Une TABLE A ÉCRIRE… »

C’est là, sur cette table, s’il faut en croire un des modernes biographes de Mme de Sévigné, qu’elle écrivit quelques-unes de ces lettres sans cesse imitées, non encore égalées, qui feront à jamais les délices des esprits cultivés[1].


V

Deux expéditions militaires, la prise de la citadelle d’Orange en 1673 et une brillante attaque des impériaux devant Toulon, à trente-trois ans de distance, firent une agréable, mais trop courte diversion

  1. Histoire de madame de Sévigné, par M. Aubenas, p. 577 et suiv. — Le château de Grignan n’est plus aujourd’hui qu’un monceau de ruines. Ces ruines doublement historiques ont été achetées 6,000 francs en 1839 par M. Léopold Faure, qui fait les plus louables efforts pour les soustraire à l’action dévorante du temps, si bien secondé en France par le marteau des révolutions.