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que beaucoup de députés n’avaient résisté d’abord qu’à raison de la misère de la province, qui était effectivement très grande ; mais il reconnaissait en terminant que, du moment où les affaires du roi ne permettaient pas d’y avoir égard, il devait être obéi. La lettre suivante que lui écrivit alors Colbert donnera une idée de l’irritation que cette affaire avait causée à la cour :


« J’ay rendu compte au roy de tout ce qui s’est passé dans l’assemblée des communautez de Provence jusques au 20e de ce mois. Vous verrés par les ordres que sa majesté envoye le peu de satisfaction quelle a de la conduite de ceux qui ont esté députez cette année, et encore que sa majesté ayt accepté l’offre de 450,000 livres, son intention est que vous envoyiez dans les provinces de Normandie et de Bretagne, suivant les ordres que vous recevrez, dix de ces députez qui ont tesmoigné le plus de mauvaise volonté pour le bien de son service. Toute la Provence verra bien en quelle extrémité fascheuse l’opiniastreté de ces députez l’aura mise. Je ne sçais mesme si sa majesté prendra la résolution de les assembler de longtemps, et en ce cas elle aura tout le loisir de se repentir de la mauvaise conduite qu’ils ont tenue. Au surplus, sa majesté est très satisfaite de la conduite que vous avez tenue. »


Voilà donc à quoi avait abouti, par suite d’une organisation vicieuse et d’attributions mal réglées, la lutte du pouvoir exécutif et du pouvoir électif. Évidemment les députés des communes étaient dans leur droit en restreignant le don gratuit aux facultés de la province. D’un autre côté, admettons que la royauté eût effectivement besoin, pour soutenir une guerre nationale ou pour défendre contre une agression injuste le territoire menacé, de la somme qu’elle avait demandée : devait-elle se laisser arrêter par la résistance des communes, quelque fondée qu’elle fût à leur point de vue ? Fallait-il écraser les pays d’élection, déjà si surchargés, en leur demandant ce que les pays d’états refusaient d’accorder ? On vient de voir comment Louis XIV trancha la question. Naturellement les communes plièrent ; pouvaient-elles faire autrement ? À partir de cette année, et pendant toute la durée du règne, le vote du don gratuit annuel s’opéra en Provence sans difficulté sérieuse, et s’éleva généralement à 700,000 livres. Il est juste d’ajouter que le comte de Grignan ne négligea rien pour que les lettres de cachet que Colbert lui avait adressées ne fussent pas mises à exécution. D’après ces lettres, les dix députés les plus mal intentionnés (la correspondance officielle ne fait pas connaître leurs noms) devaient être exilés à Granville, Cherbourg, Saint-Malo, Morlaix et Concarneau. Les instances du comte de Grignan eurent, sous ce rapport, un plein succès. Non-seulement Louis XIV se départit de sa rigueur, mais encore il consentit à recevoir la députation que l’assemblée des communautés