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de bâtardise et la position secondaire qu’elle lui fait, alors que d’un mot, s’il le voulait, il pourrait prendre son rang comme pair du royaume, et recueillir les riches domaines substitués de mâle en mâle aux aînés des Castlewood. Un espoir lui reste, c’est d’être aimé de Béatrix. Il l’obtiendrait alors, ou du moins il chercherait à l’obtenir, en échange de l’immense sacrifice qu’il accomplit sans trahir un seul regret. Lady Castlewood, elle, lutte de toute son énergie contre un sentiment redevenu plus puissant depuis qu’il est moins coupable. Elle ignore ce qui se passe dans le cœur d’Henry, mais elle comprend à quelles interprétations blessantes pour elle donnerait lieu l’attachement qu’elle témoignerait au jeune homme qu’on est habitué à lui voir traiter selon la double supériorité de son âge et de son rang. Plus tard, quand la suite des événemens viendra lui apprendre de quel bienfait elle est redevable, sans le savoir, à cet humble et fier protégé, devenu maintenant son plus ferme appui, sa passion reprendra le dessus et la laisserait sans défense ; mais justement alors elle a pu constater l’aveugle entraînement qui pousse Henry, nonobstant la maturité de son jugement, la fermeté de sa raison, à aimer Béatrix de ce terrible amour que le sage Alceste avait conçu pour l’ingrate et coquette Célimène.

Ingrate et coquette, telle est Béatrix ; d’ailleurs charmante, brillante, remplie de toutes les séductions, mais défendue contre toutes, si ce n’est celles que l’ambition vient seconder. Insensible au solide mérite, a l’imposante beauté, à l’attachement profond d’Henry pour elle, ne lui tenant aucun compte des efforts héroïques qu’il fait pour la mériter, elle s’éprendra, pour ainsi dire à première vue, du chevalier de Saint-George, qui s’est hasardé à venir tenter incognito, près de la reine Anne, une démarche inspirée par l’intrigant évêque de Rochester (plus connu sous le nom d’Atterbury ), — ou bien ce sera quelque duc et pair immensément riche qu’elle projette d’épouser sans l’aimer, pour mettre dans le cadre étincelant qui lui convient la beauté dont elle est si orgueilleuse.

Ce n’est point un type mal choisi que celui de cette altière coquette spéculant avec un calme effrayant sur les dangereuses splendeurs dont le ciel l’a douée. Ce n’est pas non plus une situation médiocrement intéressante que celle de lady Castlewood, rivale silencieuse de sa fille, poussée par un sentiment généreux à désirer que Henry soit aimé de cette cruelle enfant, certaine qu’il n’en sera pas ainsi, heureuse parfois de ce qui désespère celui qu’elle aime toujours sans qu’il s’en doute. Nous recommandons cette donnée, non pas à nos terribles dramaturges qui la gâteraient par leurs procédés violens et leurs enchevêtremens tumultueux, mais à l’esprit habile, à l’arrangeur spirituel qui dans la comédie ou le vaudeville, depuis la Chanoinesse