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compromettante. On craignait aussi pour la Pologne, toujours remuante, et où le grand-duc Constantin semblait s’attacher à détruire, par ses caprices brutalement tyranniques, l’impression des bienfaits de son frère. L’empire ottoman lui-même n’échappait pas au mouvement qui semblait sur le point de tout emporter : le prince Ypsilanti venait <de lever en Moldavie l’étendard de l’indépendance grecque, et à sa voix les populations se soulevaient dans l’Épire, dans le Péloponèse, dans les îles.

Au sein du congrès de Laybach régnait une stupéfaction profonde à laquelle on peut à peine comparer celle que produisit au congrès de Vienne la nouvelle du débarquement de Cannes. Dans les premiers instans, la consternation était telle qu’on osait à peine se regarder. Le cabinet autrichien, non content de diriger sur l’Italie cent mille nouveaux soldats tirés de l’Allemagne et de la Hongrie, se hâta de demander secours à l’empereur Alexandre, qui ordonna aussitôt l’envoi au-delà des Alpes d’un pareil nombre de soldats russes. Le prince de Metternich, naguère si confiant, semblait aussi implorer le concours de la France, qui avait constamment prédit la révolution piémontaise, qui s’en était fait un argument pour conseiller une politique circonspecte et modérée, et à qui les événemens paraissaient donner raison.

J’ai cru devoir raconter cette crise avec quelques détails, parce qu’elle fut si courte, que la génération même qui l’a traversée n’en a pas conservé la mémoire, parce que le souvenir s’en est perdu en quelque sorte dans l’immense réaction dont elle fut suivie, lorsqu’on apprit au bout de quelques jours que les révolutions de Naples et de Piémont étaient tombées, à peu près sans coup férir, à l’apparition des forces autrichiennes, et que le pouvoir absolu, un moment renversé aux deux extrémités de l’Italie, en avait repris possession.

On vit alors se reproduire une de ces illusions qui avaient déjà si souvent égaré les gouvernemens et les peuples de l’Europe, et dont on peut craindre qu’aucune expérience ne suffise jamais à les préserver. Des émeutes populaires, des révoltes militaires mal conçues, mal dirigées, et qui avaient éclaté dans des circonstances particulièrement défavorables, venaient de succomber, après un succès d’un moment, sous l’action d’une force bien organisée. On crut pouvoir en conclure que l’esprit de révolution et même l’esprit libéral, qu’on affectait de confondre l’un avec l’autre, n’avaient aucune puissance réelle, qu’il suffisait de leur tenir tête pour en venir à bout, et que si à d’autres époques ils avaient triomphé, c’était uniquement parce qu’on avait méconnu leur faiblesse, et qu’on leur avait fait des concessions aussi dangereuses qu’inutiles. On se promit donc de ne plus retomber dans une semblable erreur. À défaut du régime