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un si mauvais jour, poussés qu’ils étaient par les âpres passions du gain, de l’envie et de la haine. Là encore il les revoyait à leur désavantage, en proie à des passions plus bruyantes et plus plaisantes, mais tout aussi houleuses et effrénées. Il ne voyait ainsi ni l’humanité ni la bourgeoisie sous leurs meilleures couleurs, il ne faut pas l’oublier, car sa littérature repose presque tout entière sur les observations qu’il faisait alors. Il faisait, à vrai dire, ces observations, poussé surtout par son instinct ; il les amassait plutôt qu’il ne les digérait, il ne pensait pas encore à la littérature.

Nous ne savons ce qui l’y poussa plus tard, mais ce dut être quelque hasard, quelque conseil d’ami, le loisir de la vieillesse, la réussite d’un essai tenté par caprice. Toutefois l’apparence peu littéraire et la tournure de simple conversation que présentent ces premiers essais prouvent bien l’absence de toute préoccupation d’artiste. Du reste il resta toujours ce que nous appelons un amateur, et nous verrons que c’est à cette réserve qu’il dut une partie de son originalité. En attendant, tout ce qui se passait dans la cité, tout ce qui de l’histoire générale arrivait à la ville, prenait dans son esprit une vie particulière. Les mots, les proverbes, les observations, lui offraient immédiatement une figure comme un tronçon de satire, une comparaison joyeuse ; chaque fait aussi, chaque action se généralisait dans son imagination et y créait une sorte de type. Seulement il avait une de ces intelligences trop vives, trop impressionnables et trop emportées pour pouvoir produire en leur jeunesse. Elles ont besoin de voir souvent la même chose, pour que cette chose reste en eux ; il faut que le temps fatigue cette fougue d’observation : jusque-là elles ne peuvent rendre leurs impressions que par éclairs et par lueurs.

Nous savons maintenant où Coquillart trouva les origines de sa poésie, et nous pouvons aussi nous représenter à peu près complètement sa vie et son caractère. Nous voyons que c’était une de ces singulières natures où le cœur parle peu, dont toute l’énergie repose dans l’esprit, dont toute l’activité consiste dans la lutte entre l’esprit et la raison. Ainsi, tandis que le cœur, ignorant la vivacité du sentiment, sans grand instinct du bien et sans claire vue du sens moral, ne connaît guère et ne croit que ce qui lui a été appris par l’éducation, — l’esprit, lui, est intraitable, indépendant et original ; il ne cède à rien, sinon à l’intérêt personnel, clairement démontré par une raison froide et mathématique. Tel était notre poète bourgeois. Esprit vif et indocile, mais caractère sérieux et positif, gai dans l’oisiveté, mais graves dans les affaires, il utilisait cette double qualité, surtout au profit de son ambition. Ce fut la diplomatie de toute sa vie. Sa joyeuseté, sa finesse, son brillant cynisme, lui valaient l’amour du populaire, la crainte moitié affectueuse moitié respectueuse de la bourgeoisie, et lui ouvraient ainsi la route du conseil de ville, tandis que son intelligence, sa gravité dans les affaires et dans sa conduite lui attiraient l’attention du clergé et lui faisaient une pente facile vers cette stalle de chanoines qu’il avait entrevue comme le trône de sa vieillesse. Il lui fallait souvent déployer une grande habileté pour ménager deux opinions si différentes et marcher sans trop pencher d’un côté ou de l’autre entre deux compagnons de si diverse humeur. Parfois l’envie, les calomnies, les haines punissaient ses satires, et le conseil de ville s’éloignait à l’horizon ; d’autres fois la légèreté de son esprit et le cynisme de ses railleries laissaient