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collègues. Le gouvernement anglais crut complètement aux promesses de la Russie ; si nous constatons sa confiance dans les paroles que lui donnait le gouvernement russe, ce n’est point pour l’accuser d’imprévoyance : c’est pour établir sa bonne foi, la sincérité de ses intentions pacifiques et montrer à quel point cette bonne foi a été trompée. Le gouvernement anglais crut donc que la mission du prince Menchikof n’aurait d’autre objet que la solution de l’affaire des lieux-saints ; il vit cette mission sans crainte, plutôt même avec une nuance de prévention favorable. Les instructions qu’il donna en ce moment à ses agens portent toutes ce caractère. Le 28 janvier 1853, lord John Russell écrivait a lord Cowley : « Pour un gouvernement qui envisage avec impartialité ces contestations (entre la France et la Russie), une attitude des deux côtés si menaçante parait lamentable. Nous regretterions profondément une dispute qui pourrait aboutir à un conflit entre deux grandes puissances européennes ; mais quand nous songeons que cette querelle a pour motif des privilèges exclusifs sur les lieux auprès desquels l’homme-Dieu est venu annoncer la paix aux hommes de bonne volonté, — lorsque nous voyons des églises rivales combattre pour la domination à l’endroit même où le Christ est mort pour l’humanité, — nous ne pouvons assister sans tristesse à un pareil spectacle. Votre excellence comprendra donc : 1° que le gouvernement de sa majesté n’a pas à entrer dans le fond de ce débat ; 2° que le gouvernement de sa majesté désapprouve toute menace et encore plus l’emploi immédiat de la force ; 3° qu’il faut dire aux deux parties que si elles sont sincères dans le désir qu’elles proclament de maintenir l’indépendance de la Porte, elles doivent s’abstenir d’employer des moyens propres à montrer la faiblesse de l’empire ottoman. Par-dessus tout, elles doivent s’abstenir de mettre en mouvement des armées et des flottes pour faire de la tombe du Christ un sujet de querelle entre chrétiens[1]. » Le 19 février, lord John Russell, trop confiant évidemment dans les promesses de la Russie, écrivait au colonel Rose, en lui annonçant comme ayant un but de conciliation la mission du prince Menchikof : « Vous aurez à tenir au ministre du sultan, au prince Menchikof et au ministre français un langage propre à ramener la question au point où elle était au mois de février de l’année dernière ; ce résultat doit être atteint de la manière la plus compatible avec la dignité du gouvernement français, qui avait été quelque peu compromise par le langage de M. de Lavalette. On dit que l’empereur de Russie exigera la destitution de Fuad-Effendi. Sur ce point, vous vous abstiendrez de prendre parti dans un sens ou dans

  1. Corresp., part. I, n° 77.