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désirable sous tant de rapports, et à laquelle la Russie entière prend le plus sérieux et le plus légitime intérêt. Il se plait à compter sur les dispositions et le concours de la France. Il ne doute pas de la coopération efficace que la cour impériale d’Autriche, appelée par ses traités avec la Turquie à intervenir dans lu question, y apportera de son côté.

« C’est dans ce sens que nous allons faire à Constantinople de nouvelles et énergiques démarches, qui, tout en rappelant à la Porte ses engagement vis-à-vis de nous, la convaincront, il faut l’espérer, qu’il n’y a en réalité ni conflit ni antagonisme entre nous et la France aujourd’hui, pas plus qu’à d’autres époques, pour ce qui concerne l’ordre de choses établi depuis des siècles dans les lieux vénérés de la Palestine ; que toutes les grandes puissances de l’Europe désirent également la conservation de l’empire ottoman, sa tranquillité intérieure et l’indépendance de son gouvernement dans ses actes, lorsque la justice et ses propres intérêts les lui commandent.

« Nous sommes convaincus, d’après les termes de la dernière communication dont le général Caslelbajac a été chargé, que les instructions dont l’ambassade de France à Constantinople est peut-être déjà munie à cette heure s’accordent avec les vues que nous venons de développer ici avec autant de franchise que de confiance. Dans ce cas, l’entente, qui n’a pu jusqu’ici s’établir entre nos représentans à Constantinople autant que nous l’avions désire, pourra avoir incessamment les plus heureux résultats dans la question qui nous préoccupe[1]. »

M. de Lavalette ayant été rappelé sur sa demande, tout prétexte personnel fut enlevé par la France aux ombrages de la Russie à Constantinople. Un ambassadeur nouveau, sans antécédens et sans parti pris dans la question, M. de Lacour, fut chargé de suivre les négociations avec le nouvel envoyé de l’empereur de Russie. M. Drouyn de Lhuys s’était plaint des récriminations par lesquelles M. de Nesselrode avait répondu à ses ouvertures ; le chancelier témoigna le regret qu’une pareille impression eût pu être produite par ce qu’il regardait comme un simple exposé des faits. Il assura M. de Caslelbajac que le tsar avait reçu avec une vive satisfaction les déclarations conciliantes de la France, qu’il y répondrait, dans le même esprit, que le rappel de M. de Lavalette et les nominations de MM. de Lacour et de Bourqueney étaient regardées comme une preuve des bonnes intentions de l’empereur des Français ; que le tsar serait heureux d’agir de concert avec la France pour prévenir la chute de l’empire turc ; que ses mouvemens de troupes vers la frontière ottomane n’avaient pas pour but d’attaquer la Turquie, mais seulement d’agir moralement sur les ministres ottomans pour vaincre en eux une obstination qui amènerait la catastrophe que tout le monde voulait éviter[2]. La France dut donc attendre l’effet des assurances de M. de Nesselrode.

  1. Le comte de Nesselrode à M. de Kissélef. Corresp., part I, n° 83.
  2. Lord Cowley to the earl of Clarendon. Paris, mardi Ier, 1853. Corr., part I, n° 96.