Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/989

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Castelbajac dans l’audience où notre ministre remit ses lettres de créance. L’empereur dit à M. de Castelbajac qu’il avait appris avec plaisir de M. de Nesselrode l’intention où était le gouvernement français d’entrer en communication directe avec le cabinet russe, pour faire cesser les mésintelligences qui s’étaient élevées à propos des lieux-saints. Le ministre français fit remarquer à l’empereur que l’on verrait par la comparaison des dates que cette démarche conciliante de la France était toute spontanée, et ne pouvait être attribuée à l’influence des arméniens de la Russie. L’empereur répondit que « les bruits relatifs à ses préparatifs militaires étaient fort exagérés, que ces préparatifs n’étaient pas motivés par la question des lieux-saints, quoiqu’il dût avouer qu’il voulait produire une impression de crainte à Constantinople, à cause d’une insulte faite au pavillon russe. » Sans donner aucun détail sur l’insulte alléguée, l’empereur termina l’entretien par des protestations en faveur de la paix et du maintien de l’empire ottoman[1]. Mais si l’on veut connaître le véritable esprit qui animait alors le gouvernement russe vis-à-vis de la France, et les vraies tendances de la politique qu’il avait résolu de suivre, il faut lire la dépêche adressée deux jours avant au baron Brunnow, pour être communiquée au gouvernement anglais. Ce document, où les récriminations amères contre la France sont si habilement relevées de flatteries pour le cabinet britannique, montre si bien le contraste qui existait alors entre les dispositions du gouvernement russe et celles du gouvernement français, et éclaire si fortement le point de départ de la Russie dans la violente politique où elle allait s’engager, que nous croyons devoir le mettre en entier sous les yeux de nos lecteurs.


« Saint-Pétersbourg, le 14 janvier 1853.

« Je profite du courrier que j’expédie aujourd’hui à votre excellence pour lui accuser la réception de son expédition du 17-29 décembre, et l’assurer du vif intérêt avec lequel nous en avons pris lecture. L’empereur a été surtout très satisfait des premières explications que vous avez échangées avec le chef de la nouvelle administration britannique, et des soins que vous avez pris pour bien établir dans son esprit, comme dans celui de lord John Russell, avec lequel nous aurons désormais à traiter plus particulièrement, les points principaux sur lesquels vont s’engager nos relations avec le nouveau ministère. Parmi ceux que vous avez touchés, nous avons surtout remarqué ce qui concerne notre situation actuelle en Turquie, et le compte que vous avez rendu à lord Aberdeen et à lord John Russell du véritable caractère de la grave question des lieux-saints. Vous aviez déjà abordé ce sujet avec lord Malmesbury

  1. Lord Cowley to lord John Russell. Paris, january 26, 1853. Corresp., part I, n° 75. — Lord Cowley analyse dans cette dépêche la dépêche écrite par M. de Castelbajac le 10 janvier après son audience.