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maintien du statu quo des lieux-saints en faveur des Grecs ; elle blâmait et accusait amèrement les ministres du sultan d’avoir compromis ce statu quo en reconnaissant la validité des capitulations. Ainsi, et c’est une remarque très importante à faire si l’on veut apprécier de bonne foi la moralité de la position prise par la Russie, l’empereur Nicolas, qui devait finir la question des lieux-saints en exigeant de la Turquie, sous la menace d’une attaque les armes à la main, un engagement qui la liât vis-à-vis de lui pour l’avenir, commençait par faire un crime à la Turquie, non pas d’exécuter à la lettre, mais seulement de reconnaître en principe les engagemens contractés par elle dans le passé vis-à-vis d’une autre puissance ! Il faut observer encore que le premier effet de cette intervention hautaine du tsar fut de contraindre la Porte à manquer à la parole qu’elle avait donnée à la France, et à entrer dans cette voie de contradictions et d’ambiguïtés que le tsar devait dénoncer plus tard comme un système de mauvaise foi et de perfidie contre lequel il lui fallait pour garantie un traité ou un engagement formel !

Le caractère impérieux de cette immixtion de la Russie dans l’affaire des lieux-saints eût été justifiable en droit strict, si les prévisions de traités antérieurs eussent donné a cette puissance des droits analogues et équivalens à ceux de la France. Sept articles des capitulations définissent longuement et avec précision nos droits spéciaux sur les lieux-saints ; mais la Russie ne possède rien de semblable dans ses anciens traités. Pour couvrir son intervention d’un prétexte légal, elle fut obligée d’alléguer deux articles du traité de Koutchouk-kainardji, où, comme on va le voir, il n’est nullement question des lieux-saints. Le premier de ces articles, le septième, est ainsi conçu : « La Porte promet de protéger la religion chrétienne et ses églises, et il sera libre aux ministres de Russie de faire des représentations en faveur de la nouvelle église dont il est parlé dans l’art. 14. » Or voici comment cet art. 14 précise le droit de représentation donné aux ministres russes par l’art. 7 : « Il est permis à la cour de Russie, outre la chapelle bâtie dans la maison du ministre, de construire dans un quartier de Galata, dans la rue nommée Bey-Oglou, une église publique du rit grec, qui sera toujours sous la protection du ministre russe et à l’abri de toute gêne et avanie. » Il est évident que le droit de représentation accordé pour une seule église désignée ne pouvait s’appliquer aux lieux-saints. Donc, pour s’arroger un pouvoir d’ingérence dans l’affaire des sanctuaires, il fallait que la Russie torturât et généralisât le sens de la première phrase de l’art. 7 : « La Porte promet de protéger la religion chrétienne et ses églises ; » et afin d’arriver de la religion chrétienne au rit grec et des églises en général aux sanctuaires de Jérusalem, il fallait que