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concilier sa dignité avec la fausse et embarrassante situation où la Porte s’était laissé entraîner par la légation russe. M. de Lavalette demanda seulement que le firman ne fût point lu publiquement à Jérusalem devant les églises rassemblées ; c’était assurément pousser la modération jusqu’à ses dernières limites, et nous sommes heureux de le déclarer ici à l’honneur de M. de Lavalette, qui a été si injustement attaqué par la Russie et par une portion de la presse anglaise, et à qui il nous semble que l’on n’a pas assez tenu compte des difficultés de son ingrate mission. Le texte du firman portait qu’il serait enregistré ; cette formalité suffisait pour lui donner force de loi. La Russie, au lieu d’imiter notre modération et de se contenter de l’avantage réel que cet acte donnait au principe défendu par elle du statu quo des lieux saints, exigea péremptoirement qu’il fût lu. Notre ambassadeur dut pousser plus loin encore l’esprit de conciliation. Lorsqu’au mois de décembre 1852 Fuad-Effendi, le ministre des affaires étrangères, voulut finir la question dans le sens de l’arrangement du mois de février, il fut décidé que le firman, avant d’être enregistré, serait lu en présence du pacha, du mufti, du cadi et du patriarche grec de Jérusalem. « En agissant ainsi, écrivait le chargé d’affaires anglais à Constantinople, M. le colonel Rose, la Porte a fait une grande concession à la Russie et offensé l’ambassadeur français, qui avait insisté pour que le firman ne fût point lu tout haut, mais simplement enregistré. Cependant Fuad-Effendi m’assure que M. de Lavalette, par esprit de conciliation, fermera les yeux sur cette lecture et n’en fera pas un sujet de querelle avec la Porte[1]. »

Mettons en regard de la conduite de la France l’attitude et les procédés de la Russie.

Nous ne contesterons point l’intérêt légitime que l’empereur de Russie avait dans le règlement de la question des lieux-saints. Puisque entre la communauté latine et la communauté grecque de Jérusalem il y avait conflit de prétentions, et puisque la Porte Ottomane était mise en demeure par la France de prononcer un jugement, il était naturel que l’empereur de Russie veillât à ce que l’intérêt du culte qu’il professe lui-même ne fût point lésé par les décisions de la Porte. Supposez que la diplomatie russe eût apporté dans ce débat un véritable esprit de conciliation et de justice, rien n’eût été plus légitime et plus facile que son rôle ; rien n’eût été plus aisé que la solution du litige. La Russie défendait le principe du statu quo des lieux-saints ; sans attaquer la validité de nos capitulations avec la Porte, puisqu’elles n’ont point encore été abrogées, elle aurait pu, par des représentations amicales auprès de la Porte et de la France,

  1. Colonel Rose to the earl of Malmesbury. Correspond., part I, n" 60.