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ils pouvaient réclamer la possession exclusive, ouvrait en même temps aux Grecs un autre sanctuaire qui jusque-là leur avait été fermé. Ainsi dans la politique de la France il n’y avait aucune atteinte aux droits acquis, aucune exclusion portée contre les Grecs, il n’y avait que la revendication modérée d’un principe de justice et d’égalité entre les cultes. Ce modeste succès était-il agrandi par le nombre et l’importance dans l’empire ottoman des membres du culte en faveur lequel il était obtenu ? devenait-il pour la France le gage et l’instrument d’une influence politique sur une portion considérable des populations chrétiennes de la Turquie, et pouvait-il inspirer de légitimes inquiétudes à des influences rivales ? Nullement. Ce n’était qu’une satisfaction donnée à la piété de quelques religieux et de quelques pèlerins, ou, comme disait dédaigneusement M. de Nesselrode à sir Hamillon Seymour, « de quelques touristes catholiques[1]. » Sur le fond des choses, la modération de la France était donc, manifeste. Le résultat qu’elle avait obtenu en février 1852 ne blessait aucun intérêt sérieux, et n’était de nature à inspirer aucun ombrage politique fondé à la Russie.

Mais ce résultat, si mince qu’il fût, la légation russe à Constantinople voulut l’anéantir au moment même où la France y était si laborieusement et si patiemment parvenue. Abusant de la faiblesse du divan, M. de Titof lui arracha le firman dont nous avons déjà parlé. Ce firman était postérieur de quelques jours seulement à la note remise à notre ambassadeur ; il fut rendu le lendemain du départ de M. de Lavalette pour la France. Les réclamations des Latins y étaient qualifiées d’injustes ; le statu quo des lieux-saints y était prononcé, et par conséquent les capitulations de 1740 frappées de déchéance. Ce n’était pas assez pour le ministre russe ; il obtint confidentiellement de la Porte une lettre visirielle qui lui promettait que la clef de la grande porte de l’église de Bethléem ne serait point remise aux Latins[2], c’est-à-dire un engagement qui annulait en fait la concession gagnée par la France, comme le firman invalidait en droit l’autorité des capitulations. Certes, après un revirement si étrange, opéré sous une telle pression et après une violation si prompte et si choquante des engagemens contractés par la Porte, la France avait le droit de se plaindre hautement et d’agir avec vigueur. Elle était pleinement autorisée à réclamer l’abrogation du firman qui violait ses capitulations. Pourtant, ici encore, elle se montra plus soucieuse d’arriver à un arrangement pratique utile aux intérêts respectables dont la défense lui était confiée que de faire ostentation de son droit ; elle chercha à

  1. Sir H. Seymour to lord Malmesbery, 31 déc. 1852. Correspond., part 1, n° 62.
  2. Colonel Rose to the earl of Malmesbury. Correspond., n° 51.