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une nouvelle énergie. La Porte avait promis à notre ministre que le firman, contraire dans sa forme aux capitulations, serait simplement enregistré, ce qui suffisait pour lui donner force de loi, mais ne serait point lu aux communautés rassemblées à Jérusalem. Au contraire, le chargé d’affaires russe, M. d’Ozeroff, exigeait la lecture publique du firman, qui proclamait le statu quo en faveur des Grecs dans la possession des lieux-saints, et annulait virtuellement les capitulations. La question demeura longtemps ainsi suspendue. Enfin le nouveau ministre turc des affaires étrangères, Fuad-Effendi, prit le parti de tenir les engagemens contractés par la Porte vis-à-vis de la France ; c’est à la suite de cette solution que l’empereur de Russie commença ses préparatifs militaires et envoya le prince Menchikof à Constantinople.

Voilà le précis fidèle des incidens importans de la négociation relative aux lieux-saints depuis 1850 jusqu’à la fin de l’année 1852. C’est de cet ensemble de circonstances que la Russie a fait sortir toutes ses récriminations contre la France et contre la Porte, et toutes les prétentions qui sont sur le point de mettre l’Europe en feu. Rappelons quelle fut pendant ce long débat l’attitude des puissances intéressées, de la France, de la Russie, de la Porte, de l’Angleterre. Les documens anglais sont sur ce point des élémens de jugement irrécusables, car, ainsi qu’on va s’en assurer, l’Angleterre, qui voyait avec peine cette querelle, garda une complète neutralité, et y assista pendant tout le temps en témoin alarmé, mais désintéressé et impartial.

Sur le fond de la question, il est impossible de contester le droit, l’intérêt, je dirai même le devoir de la France. Le droit était absolu ; il résultait d’un traité formel et de stipulations spéciales et précises dont la Porte avait reconnu elle-même les obligations. L’intérêt était palpable : il s’agissait de mettre un terme à des empiétemens qui n’allaient à rien moins qu’à évincer peu à peu les catholiques romains des lieux les plus sacrés et les plus chers aux âmes chrétiennes. Le devoir était clairement tracé, puisque c’était sous la garantie de la France qu’étaient placées les immunités ravies aux Latins et réclamées par eux. Dans les affaires humaines, il est quelquefois imprudent et dangereux d’aller jusqu’à la limite extrême de son droit : summum jus, summa injuria. La France se garda d’une pareille exagération. Les capitulations à la main, elle aurait pu exiger non-seulement l’admission des Latins dans les neuf sanctuaires d’où ils avaient été exclus, mais l’expulsion totale des Grecs de ces sanctuaires qu’ils voulaient occuper seuls ; au lieu de cela, elle se déclara sur le fond des choses satisfaite de l’arrangement arrêté par la Porte, lequel, en rouvrant aux Latins deux sanctuaires seulement dont