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des sultans, la question serait insoluble, car les sultans ont tour à tour et contradictoirement concédé les mêmes droits aux deux communions ; mais les Latins possèdent un titre plus sérieux, consigné dans un traité conclu entre la Porte et la France, dans les capitulations de 1740. L’art. 33 de ces capitulations dit que « les religieux latins, qui résident présentement, comme de tout temps, en dehors et en dedans de Jérusalem et dans l’église du Saint-Sépulcre, dite Camamé, resteront en possession des lieux de pèlerinage qu’ils ont de la même manière qu’ils les ont possédés par le passé. » Des dix-neuf sanctuaires qu’ils possédaient exclusivement en 1740, les Latins en avaient perdu, en 1850, neuf, d’où les Grecs les avaient à leur tour totalement exclus. Parmi ces sanctuaires, où les Latins ne pouvaient plus accomplir leurs dévotions et célébrer leurs cérémonies, il y en avait d’aussi considérables au point de vue religieux que la grande église de Bethléem et l’église du tombeau de la Vierge. Les Grecs, aussi peu respectueux des souvenirs de l’histoire que des droits d’une communion rivale, avaient, dans leurs usurpations au Calvaire, détruit les tombes de Godefroy de Bouillon, de Baudouin et des autres rois des croisades.

À qui, dans cette situation, devaient s’adresser les réclamations des pères de la Terre-Sainte et des catholiques pieux, sinon à la France, dont la garantie, consacrée par les capitulations, couvrait les droits de l’église latine ? Les empiétemens des Grecs ne s’arrêtaient pas : récemment encore, ils avaient fait disparaître de l’église de la Nativité l’étoile d’argent, symbole de l’ancienne possession des Latins. Fallait-il laisser se continuer un état de choses qui tendait à évincer complètement les catholiques romains des lieux qui furent le berceau du christianisme ? Fallait-il laisser prescrire les capitulations ? La France devait-elle renier ses obligations en abdiquant ses droits ? N’était-il pas possible au contraire de régler cette question des lieux-saints de manière à concilier sinon toutes les prétentions, au moins tous les intérêts légitimes, de rouvrir les sanctuaires fermés aux Latins sans en expulser les Grecs, de faire respecter les titres anciens en ménageant les possessions récentes ; en un mot, d’obtenir l’égalité et de faire prévaloir la tolérance, lorsqu’on pouvait, en vertu d’un traité, en vigueur, revendiquer des droits exclusifs ?

Le gouvernement français le crut et aborda cette tâche dès 1850. Il importe de rappeler la date de ses premiers efforts, car l’on croit généralement à tort que la question des lieux-saints a été soulevée plus tard et dans d’autres vues. Ce fut M. le général Aupick qui, le 28 mai 1850, au nom du gouvernement de la république, adressa à la Porte les premières réclamations. La pièce qui ouvre la publication des documens anglais que nous avons sous les yeux annonce et devance