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includ une permission de se battre en champ libre et ouvert, les duels ont commencé de s’authoriser par l’usage et impunité jusques au temps du roy deffunct, auquel se trouvèrent des courtisans faisant gloire de se rendre redoutables aux autres, comme les géans des premiers siècles, et lors, comme l’on veit les duels honorez de louanges exquises et consacrez à l’éternité par l’érection de magnifiques statues, glorieuses inscriptions et superbes épitaphes, il y eut presse à mourir si précieusement. Toutesfois cette ambition ne saisissait encore que les âmes plus altières ; le commun de la noblesse mesme, celle irai ne hantoit point la cour, usoit de quelque retenue… Mais les esprits ayans esté effarouchez par ces dernières guerres civiles, la noblesse, retirée en sa maison depuis la paix, s’est portée à tout ce qu’elle a pensé la pouvoir rendre redoutable, et à ceste fin, chaque gentilhomme a fait de sa salle de festins une salle d’escrime, et de ses enfans une compagnie de gladiateurs (dès lors aucuns jugèrent ce qui en adviendroit). Cette jeunesse, au bout de cinq ou six ans, a voulu tenter si elle manierait aussi heureusement son espée que ses florets ; seulement, par un vain désir de se faire cognoistre, les jeunes y ont embarqué les vieux, qui ont creu estre obligez de vérifier le proverbe que jamais bon cheval ne devient rosse ; puis nostre nature se porte facilement au mal, et plus facilement encore à l’excès du mal jà receu et pratiqué. De là sont sortis les grands et funestes accidens que nous avons veus. Pour empescher que ce mal ne passast plus avant, le roy heureusement régnant y a faict, n’a pas longtemps, apporter par sa cour le parlement un remède véritablement grand et puissant. »


L’événement a prouvé que le remède ne pouvait pas guérir le mal. La civilisation seule était appelée à le faire disparaître.

Il n’entre pas dans notre plan de raconter ici, même brièvement, les principaux combats à outrance qui se sont succédé depuis le règne de Philippe le Bel jusqu’au règne de Henri II. C’est sur les combats sans règles qui suivirent ce dernier règne que notre attention doit encore un moment se porter. Le contraste entre ces sanglantes rencontres et le mémorable duel de Saint-Germain nous servira de conclusion.

Après le combat de Jarnac et La Chasteigneraye survinrent, sous Henri III, ces tristes rencontres où l’on ne se faisait pas toujours scrupule de brûler la cervelle à son adversaire au moment où il mettait l’épée à la main, ou de le faire attendre, sur la route qu’il devait suivre pour arriver sur le terrain, par des valets chargés de l’assassiner. C’est dans l’histoire des duels, à coup sûr, la période la plus regrettable et la plus sanglante.